
Dans notre monde saturé d'images, l'un des pans les plus stimulants de la photographie contemporaine est celui qui interroge la possibilité de la représentation aujourd'hui. C'est ce que fait Paul Graham avec son nouveau livre, The Present, réflexion en image sur les modalités de la street photography au regard de l'histoire du genre. C'est également ce à quoi se livre Alexis Cordesse avec Border Lines vis-à-vis de la photographie d'information. Les photos contenues dans ce portfolio ont été réalisées en Israël et en Palestine, principalement aux points de rencontre de ces deux territoires. Ancien photoreporter, Cordesse connaît bien la région et cherche à s'éloigner des représentations stéréotypées du conflit israélo-palestinien. Il a ainsi choisi de réactiver un dispositif ancien, le panorama ou le panoptique en vogue au XIXe siècle. Mais il le fait à l'ère numérique. Prenant une série de photos depuis un même point de vue, il les a ensuite assemblées dans Photoshop pour former des panoramiques. Pourtant, il laisse les "coutures" entre les images visibles. L'effet de montage, l'artificialité de la représentation photographique sont ainsi mis en évidence. Pour autant, l'exigence documentaire est entière. Alexis Cordesse représente la rue telle qu'elle se présente à lui, même si la prise de vue s'étale parfois sur plusieurs heures. Cette durée est perceptible notamment dans les teintes du ciel qui varient d'un fragment à l'autre. La volonté de mettre évidence les multiples possibles du réel, commune à Graham et à Cordesse, forme une réponse à la croyance en la véracité de l'instantané photographique et ouvre la voie à une représentation distanciée où le spectateur doit assumer sa part.
Dans ce Proche-Orient où les signes identitaires sont omniprésents (le voile, les barbus…) Alexis Cordesse, par son dispositif de prise de vue et par son travail de postproduction, recrée une scène, invente une action, trouve des interstices où l'image soit possible. Il le fait en jouant du montage, de la pliure du temps et de l'image. Cet effet est redoublé par le choix de présentation du portfolio. Les panoramas sont imprimés sur de longues feuilles pliées en deux ou en trois. Si bien que le pli du papier vient redoubler le raccord des images. En dépliant les feuilles, on aperçoit d'abord un pan de l'image avant de pouvoir la capter dans son intégralité. Ce faisant, Alexis Cordesse démontre que la topographie est une construction mentale tout comme le réalisme de la représentation photographique.
Alexis Cordesse, Border Lines, Artothèque de Caen, texte de Michel Poivert, 10 photographies couleur imprimées en quadrichromie sous enboitage cartonné. Édition limitée à 150 exemplaires numérotés et signés. Conception graphique : Mathieu Dessailly.
Allez voir ailleurs !
L’ensemble du portfolio est visible sur le site d’Alexis Cordesse. On peut se procurer Border Lines sur son site ou à la librairie du Bal.
Présentation de The Present de Paul Graham sur le site de son éditeur, Mack.