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Arno Gisinger : TOPOÏ


Depuis près de 20 ans, l'œuvre d'Arno Gisinger questionne la fabrique de l'histoire et la construction de la mémoire. Du devoir mémoriel parfois. Topoï met en jeu les diverses séries que le photographe autrichien vivant en France a pu élaborer. Plus qu'une rétrospective, terme qu'il n'aime guère tant il sent la muséification, le livre et les expositions –organisées dans quatre centres d'art européens– sont des mises en espace d'une pratique, le déploiement d'une archive. Chaque série fonctionne comme une phrase au sein d'un texte. La référence à un dossier d'archive est perceptible dans la forme même donnée au livre : la reliure suisse s'ouvre largement et dévoile le bloc de feuilles, comme le contenu d'une chemise que le lecteur s'apprêterait à consulter. La cohérence, thématique comme formelle, est l'un des aspects les plus remarquables de la démarche d'Arno Gisinger. L'histoire européenne du XXe siècle est sa grande affaire, même s'il a pu étendre sa réflexion à l'Inde coloniale, au Vietnam ou au 11 septembre. À Oradour-sur-Glane, il interroge le sens de ruines maintenues en l'état afin qu'elles ne se désagrègent pas. À Nuremberg, il note que l'ombre d'un aigle impérial, même destitué, plane encore sur une façade, tandis que, toujours dans cette tension entre passé et présent, il relie images du procès de 1945-46 et photographies de touristes en quête de sens en ces lieux de mémoire. Au Sud-Tyrol, région italienne de langue allemande, il questionne les frontières, politiques, linguistiques, mentales.

La réflexion portée sur ce que peut (ou pas) la photographie fait également une bonne part de l'intérêt du travail d'Arno Gisinger. Marchant sur les pas de Walter Benjamin en exil (Konstellation, 2009), il retrouve les lieux exacts traversés par le philosophe, mais constate que nulle trace ne subsiste. L'échec photographique est patent. Pour autant, dans les images de ces lieux (topoï en grec) parcourus par le théoricien de la photographie se dessine une géographie de l'Europe contemporaine. Mais une géographie orientée par le savoir historique donné au spectateur. La nécessaire liaison du texte et de l'image devient un axe majeur chez Gisinger dès les photos réalisées à Bordeaux (2004) ou au Mobilier national à Vienne (2000). Y sont représentés des biens juifs spoliés durant la Seconde Guerre mondiale. À Bordeaux un immeuble, en Autriche des meubles. Devant une façade anonyme que rien ne distingue s'impose le fait d'inscrire sur l'image un rapport de la police française de 1942. Invité à photographier les modestes objets (lits de fer, chaises de bois, tapis…) conservés au Mobilier national autrichien, Gisinger découvre que certains numéros d'inventaire ont disparu. Un deuxième vol qui vaut destruction de mémoire. Seule solution photographique : représenter l'espace vide et imprimer sur l'image le nom de l'objet manquant. La finesse dans la perception des enjeux historiques et photographiques comme la recherche pragmatique de représentations adéquates sont une marque de fabrique. Si le travail d'Arno Gisinger ne se laisse pas facilement appréhender, s'il n'est pas d'une séduction immédiate, c'est sans doute qu'il pousse la photographie dans ses retranchements narratifs. Faire l'effort de passer cette barrière permet d'accéder à de nouvelles questions.


Arno Gisinger, Topoï, Trans Photographic Press et Bucher Verlag, bilingue français-allemand, reliure suisse, 336 pages. Conception graphique : Helmut Völter.

Arno Gisinger, Topoï, exposition du 20 janvier au 31 mars 2013 au Centre Photographique d’Île de France, 107 avenue de la République, 77340 Pontault-Combault. Du mercredi au vendredi de 10h à 18h, les samedis et dimanche de 14h à 18h.


Allez voir ailleurs !

Le site d’Arno Gisinger, ceux de Trans Photographic Press et du CPIF.

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