
J'ai pu être un ardent admirateur de Bernard Plossu. Notamment du Jardin de poussière que je tiens, aujourd'hui encore, comme l'une des plus magiques séries de photo minimaliste. Ce mince ouvrage publié en 1989 par Marval me semble toujours l'expression d'une photographie "point, ligne, plan" à rebours de toutes les représentations exaltées de l'Ouest américain. De Plossu, j'aime également quelques images isolées : cette branche de palmier dans le vent, cette vision d'un enfant sur un pont de bateau… Son Voyage Mexicain (Contrejour, 1979) tenu par certains comme fondateur d'une modernité "on the road" de la photographie européenne me laisse plus dubitatif. De nombreuses images sont faibles même si elles vibrent d'une tension tout adolescente. D'être bien plus tard, embringué aux côtés de Max Pam ou de Paolo Nozolino dans la défense de la "photographie créative" chère à Jean-Claude Lemagny, a offert à Plossu une reconnaissance institutionnelle, en France du moins. Problème, me semble-t-il, cette doctrine a fossilisé ses adeptes dans une démarche poétisante refusant la déferlante documentaire qui a marqué la photographie contemporaine depuis vingt ans.
Conséquence de l'alignement de Plossu sur l'institution, les commandes publiques pleuvent sur lui depuis des années, donnant la plupart du temps lieu à parution. Voici, à titre d'aperçu, un petit florilège de publications de commande : Paris, Londres, Paris (1989), L'Archipel de Riou (1993) Marseille en autobus (1996), Porquerolles, Port-Cros : Bernard Plossu, les îles (1999), Musée des Arts d'Afrique et d'Océanie, Mémoires (2002), Au Nord (2006), Des mots de lumière dans les musées de Strasbourg (2007), L'étrange beauté de la ville d'Hyères (2007)… Si l'on ne peut que se réjouir qu'un auteur trouve des commanditaires, on ne peut que déplorer l'esprit moutonnier des institutionnels à la recherche de "valeurs sûres" et surtout non conflictuelles.
Le Conservatoire du Littoral, institution précieuse qui soustrait des milliers de kilomètres de côtes et de bords de lacs à la spéculation, a donc à nouveau passé commande à Bernard Plossu pour Littoral des lacs . Le résultat en est navrant. Sentiers herbeux sinuant vers la rive, paysages lacustres masqués par les feuillages… Le photographe fait de son mieux pour illustrer la beauté virgilienne de ces paysages protégés. Pourtant, le lecteur s'ennuie à la vue de ces images bucoliques que nulle modernité ne vient troubler, ni dans le cadre ni dans la prise de vue. Le talent de Plossu s'épuise dans ces exercices de style et on en vient à se demander si Conservatoire a forcément partie liée avec conservatisme.
Bernard Plossu, Littoral des lacs, Images en Manoeuvres Editions, 98 pages.