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Daniel Blaufuks FÁBRICA


Qu'est devenue la classe ouvrière ? Qu'avons-nous fait de nos moyens de production manufacturière ? Telles sont les questions que pose le nouveau livre de Daniel Blaufuks. Elles sont absolument pertinentes tandis que l'Occident s'interroge sur sa désindustrialisation et sur l'intérêt d'une mondialisation qui a tourné à la lutte de tous contre tous. Il ne s'agit pour autant pas de regretter l'utopie productiviste. Blaufuks interroge la mémoire d'un temps révolu dont les traces affleurent encore dans le monde contemporain. Comme dans certains de ses travaux précédents, Terezin ou Sob Céus Estranhos, il le fait en confrontant documents d'archives et photos contemporaines. Comme dans ces deux œuvres également, le projet se déploie sous forme de livre et de film.


La Fábrica de Fiação e Tecidos do Rio Vizela, une usine textile, a été fondée en 1845 à proximité de la ville de Porto. Un temps, elle fut l'une des plus importantes d'Europe, employant plus de 3000 personnes et exportant jusqu'au Brésil et aux États-Unis. Elle a fermé ses portes en 2004. C'est là, dans les bureaux de l'actuel propriétaire, que Daniel Blaufuks a trouvé des images anciennes soigneusement conservées dans un coffre-fort. Beaucoup réalisées par Domingos Alvão, un photographe de Porto, actif dans la première moitié du XXe siècle. Il s'agit donc de photos corporate réalisées à la demande de l'entreprise dans un but de documentation ou de communication. Certaines montrent des bureaux luxueux, d'autres des machines, d'autres encore des ouvriers au travail dans une harmonie et une discipline admirable.


À cette fiction d'un univers parfait, Daniel Blaufuks oppose deux éléments. Le règlement intérieur de l'entreprise reproduit au fil des pages qui indique clairement la défiance de la hiérarchie vis-à-vis des ouvriers : crainte de vols ou de dégradations et annonce des sanctions encourues. Ses propres photos, aussi. À les comparer aux images anciennes, on constate que tous les objets monnayables, machines ou autres, ont classiquement disparu, vendus ou volés. Ne reste que quelques bobines de fil, balles de tissus et meubles. On note aussi la déréliction des lieux envahis d'humidité. Cela ne serait pas grand-chose d'autre que de l'aftermath photography, cette photographie de l'après, sans un travail de mise en forme remarquable.



Daniel Blaufuks combine donc des propositions multiples. Les photos anciennes sont traitées de deux manières : certaines ont été scannées et d'autres, rephotographiées in situ. Le texte du règlement intérieur et ses propres photos. Ces dernières se décomposent encore en plusieurs types : vues larges des lieux, détails et leitmotivs d'échantillons de tissus ou de gros plans sur des horloges. L'organisation savante de tous ces motifs crée une relation tactile au sujet. La chaleur de la chromie, la sensualité de ses propres images, son art de les relier aux documents anciens, permettent à Daniel Blaufuks de tenir à distance la froideur documentaire et d'ainsi passer du particulier au général. Du fait, à sa conceptualisation. Et comme toujours chez lui, d'interroger visuellement les notions de temps et de mémoire.



Fábrica, le film, mêle, sur le même principe que le livre, photos d'archives et images filmées par Blaufuks. Cependant, il joue d'une dimension, bien évidemment absente du livre : le son. Les représentations contemporaines sont accompagnées d'un flic-floc de gouttes d'eau caractéristique des bâtiments à l'abandon. Les photos anciennes, elles, tremblent sous un vacarme de machines ou de sonneries stridentes. L'alternance des images et des sons crée une sensation de stress. Manière de rendre sensible la citation de W. H. Auden placée en incipit : "Nul ne peut parcourir une usine sans avoir la sensation d'être en enfer." Ni nostalgie d'un passé idéalisé ni poétique de la ruine, mais une pensée en images.


Daniel Blaufuks, Fábrica,  coéd. Pierre von Kleist Editions et Guimarães 2012, reliure toilée sous jaquette, 172 pages, un DVD inclus. Conception graphique : Daniel Blaufuks.


Exposition jusqu’au 26 mai 2013 au CAAA de Guimarães, Portugal.


Allez voir ailleurs !

Le site de Daniel Blaufuks et celui de Pierre von Kleist.

Des photos du livre sur le site de Dalpine.

Fábrica  présenté sur Vimeo par Photobookstore.

Une conversation avec Daniel Blaufuks.

Compte-rendu de Terezin.

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