
KORDA, UN CÉLÈBRE INCONNU
Korda est l'auteur de l'iconique portrait du Che qui a fait le tour du monde reproduit en posters ou t-shirts. Pour autant, il n'est pas l'homme d'une seule image. Avant la révolution cubaine, il était un photographe de mode et de publicité reconnu travaillant par exemple pour le rhum Bacardi. À l'entrée des guérilleros dans La Havane, il est rapidement admis dans l'entourage de Castro dont il deviendra le photographe attitré pendant une dizaine d'années. Il se met dès lors au service de la geste révolutionnaire. Korda, un célèbre inconnu est passionnant, car s'y dévoile la petite fabrique de l'imagerie révolutionnaire. La mise en relation des planches contact avec les images publiées dévoile la méthode Korda. Travaillant dans les conditions du photojournalisme, Korda conserve ses réflexes de photographe publicitaire : mise en scène, magnification du sujet, recadrages. Classiques images de propagande : Fidel dans une plantation, Fidel avec Khroutchev, foule en liesse place de la Révolution… Mais aussi Castro dans l'intimité ou plus inattendu jouant au golf avec le Che. Une déconstruction de la mythologie révolutionnaire.
Korda, un célèbre inconnu, Steidl, 440 pages.
Erik Kessels, COUPLES
La passion contemporaine pour la photographie vernaculaire ne faiblit pas et les joyeux allumés de KesselsKramer poursuivent leur œuvre d'exhumation des pratiques modestes. Erik Kessels met en avant dans ce petit opus un goût partagé, semble-t-il, par de nombreux couples : se photographier réciproquement dans un même décor. Il peut s'agir d'un lieu de vacances : bord de mer, site archéologique ou lac de montagne que l'on soupçonne d'être Suisse. D'autres images ont pour cadre le canapé familial ou le fond du jardin devant une mauvaise haie. D'autres encore sont prises au bord d'une route ou sur un vilain parking. Bien évidemment, sorties de leur contexte intime, ces photos intriguent. Qui sont ces gens, que signifie pour eux cet étrange rituel ? L'incommunicabilité même de ces images déviées (dévoyées ?) de leur fonction de marqueur social et personnel, transformées en œuvre par le travail de l'éditeur qui en pointe l'aspect sériel, fait qu'on revient encore et encore les scruter.
Erik Kessels, Couples, KesselsKramer, 40 pages, édition limitée à 500 exemplaires.
Joakim Eskilden et Cia Rinne, THE ROMA JOURNEYS
De 2000 à 2006, Joakim Eskilden et Cia Rinne ont voyagé à travers sept pays d'Europe à la rencontre des Roms. Vivant avec eux sur de longues périodes, ils livrent un documentaire social de grande ampleur. Ils entendent témoigner des conditions de vie et des discriminations subies, aujourd'hui encore, par les Roms. Sur un sujet casse-gueule et rebattu (pas facile de passer après Koudelka) ils réussissent le pari de renouveler le genre. Cela est dû en grande part aux photos d'Eskilden, un peu trop esthétisantes peut-être, mais dépourvues de tout pathos. La mise en page sobre et élégante, tout comme les textes de Cia Rinne, précis et documentés, fourmillant de choses vues contribuent également à la réussite du projet. Ce livre, dans la pure tradition du documentaire journalistique, a reçu le prix du livre de l'année décerné par le GRIN , association des journalistes et iconographes italiens. Il succède à Geert van Kesteren lauréat en 2005 pour Why, Mister, Why ?
Joakim Eskilden et Cia Rinne, The Roma Journeys, Steidl, 416 pages, accompagné d'un CD audio.
Collectif, CLINIC
Clinic regroupe les travaux de onze photographes contemporains autour de l'univers hospitalier. À ces onze, s'adjoint le collectif Useful Photography pour une sélection d'imagerie médicale. Libre des contraintes du photojournalisme, chaque auteur pose son regard singulier sur un aspect particulier de ce continent noir de nos sociétés. À l'égal de la justice ou de la prison, l'hôpital est l'une de ces institutions où se jouent les destins individuels, mais dont la représentation est particulièrement lacunaire, voire tabou. Clinic trouve toute sa cohérence dans son aspect fragmentaire, dans la multiplication des regards qu'il propose et dans l'acceptation implicite de l'impossibilité de rendre compte de manière globalisante d'une réalité aussi complexe que multiple. Chaque photographe, avec sa démarche propre, en approche un aspect particulier. Dressant des "portraits" de machines et de soignants au CHU de Clermont-Ferrand, Matthew Monteith pointe la structure machiniste de l'hôpital. Christophe Bourguedieu a suivi les services d'urgences d'un SAMU. Dans ce hors-cadre du monde clos de l'institution, que l'on croirait mis en scène à la façon d'un Jeff Wall, tout est pourtant réel. Et le spectateur de s'interroger sur l'indispensable lien social mis en œuvre par ces équipes. En esthète trash, Geoffroy de Boismenu se confronte au bloc opératoire. Son clair-obscur, entre Caravage et Andrès Serrano est suffisamment précis pour pointer le mystère, voire la religiosité, de ces chairs blessées emmaillotées de linges verdâtres. Jacqueline Hassink s'intéresse à l'architecture hospitalière à travers l'une de ses plus mythiques réalisations : le sanatorium de Paimio conçu en 1929 par Alvar Aalto. Mario Palmieri, lui, affronte l'issue ultime : la morgue de l'hôpital Cochin. En conclusion et en contrepoint à ces visions subjectives, Useful Photography présente des photos médicales strictement informatives ou documentaires, mais subjectivées par leur editing même. Belle pirouette de fin pour dire l'impossible objectivité de toute démarche documentaire.
Allez voir ailleurs !
Quelques images de Korda sur le site de Steidl.
Couples, mais aussi les différents numéros de Useful Photography sur le site de KesselsKramer.
The Roma Journey sur celui de Joakim Eskilden.
Clinic : Cliquer sur les noms des photographes pour découvrir leur travail.