
Les livres de polaroids sont fréquemment aussi précieux que légèrement ennuyeux. Le plus souvent l'objet Polaroid y est fétichisé, reproduit à l'échelle 1, parfois un vernis sélectif vient renforcer la sensation de se retrouver face à un "véritable" polaroid. Ces stratégies, mécaniquement répétées de livre en livre, visent à dupliquer l'émotion, la nostalgie, le sentimentalisme en un mot, que le Polaroid suscite si aisément.* Geoffroy de Boismenu, pour qui le respect des conventions semble être une notion étrangère, prend l'exact contrepied de ces pratiques. Image System se présente comme un cahier de feuilles pliées en deux. Sans reliure, elles ne sont maintenues ensemble que par un bandeau de papier qui porte le titre et ce sous-titre 72 polaroids / USA 1993-1995.
Première constatation à la prise en main, premier sacrilège pour les traditionalistes, Geoffroy de Boismenu a fait disparaître le bord blanc inférieur des polaroids, toujours plus large, pour ne conserver qu'un filet blanc égal sur les quatre côtés de l'image. Ensuite, loin de se plier à la "loi" de la reproduction à l'échelle 1, soit environ 8x9 cm, il agrandit ses images pour atteindre 64x38 cm. Ceci ne serait que peccadilles, s'il n'attentait à l'intégrité de ses propres polaroids. En effet, chaque image est reproduite sur la surface entière d'une face de feuille. Donc, une fois la feuille pliée en deux et mise en cahier, la moitié gauche d'un pola se trouve placée en vis-à-vis de la moitié droite d'un autre. Bien entendu, c'est ce jeu, cette possibilité de partir de deux images pour en obtenir quatre qui a intéressé de Boismenu. Le travail d'appariement est extrêmement poussé. Il fonctionne tantôt sur des alliances formelles, tantôt sur des oppositions conceptuelles de type nature/culture, animé/inanimé… Dans le même temps, l'absence de reliure permet aux plus joueurs des lecteurs de modifier les paires et de refaire leur propre editing. Au risque de ne jamais retrouver l'organisation originale. Quant aux tristes sires qui n'ont pas envie de s'amuser, libres à eux d'écarter prudemment les pages du cahier pour observer chaque image dans son entièreté. C'est cette volonté de liberté qui caractérise Image System dans la forme comme dans le fond. Liberté de l'auteur comme du lecteur.

Pour en venir au contenu, les images âpres, tendues, ne cèdent jamais à la joliesse si facile du Polaroid. Des vues de New York et du sud des États-Unis alternent. Clochards gisant dans la rue et bords de mer. Ironie de deux petits vieux en contemplation devant une vitrine qui affiche le slogan "The Art of Fashion" et jeu sur le cliché d'un soleil couchant sur la mer. Clins d'œil à l'histoire de la photographie aussi. Une vue en plongée sur un paysage new-yorkais enneigé évoque Kertész, quand les drapeaux américains, qui viennent périodiquement barrer les pages, renvoient aux Américains de Robert Frank. Enfin, la double-page centrale, la seule où une photo est visible dans son entièreté, représente, sur une plage entre détritus et cocotiers, un homme avec un détecteur de métaux à la recherche de quelque trésor. Une métaphore du photographe sans doute…
Geoffroy de Boismenu, Image System, RVB Books / Janvier, non relié, 148 pages. Conception graphique : Dimitri Smilenko.
Geoffroy de Boismenu signera son livre jeudi 13 octobre 2011 au Bal de 19h à 22h.
Image System sera exposé à la galerie Art Ligue, 9, rue des Arquebusiers, Paris 3e du 20 octobre au 4 novembre.
* Il y a évidemment des exceptions comme les sublimes Nudi de Paolo Roversi et Come Again de Robert Frank par exemple.
Allez voir ailleurs !
Le site de Geoffroy de Boismenu. Celui de son éditeur RVB Books.
Les articles que nous avons consacré aux précédents opus de Geoffroy de Boismenu, F2 et Boisemania.