
Depuis quelque temps, le mundillo du livre de photographie s'efforce avec plus ou moins de bonheur de définir "l’art du séquençage". Autrement dit, comment "bien" organiser la succession des images pour produire un récit photographique. Entreprise courageuse, tant chaque livre est, à l'évidence, un objet unique, même si des tendances peuvent être dégagées des œuvres du passé. Si les réflexions de Gerry Badger, développées notamment dans les numéros deux et trois de The Photobook Review éclairent le débat, beaucoup d'autres ne sont que ratiocinations. Hors la perspective historique, le débat semble un peu vain. Le plus souvent, un photographe travaille en collaboration avec un éditeur et/ou un graphiste. Le simple fait de changer l'un de ces intervenants influe sur le résultat final. On voit encore les limites de cette volonté de théoriser le déroulé dans les rééditions conçues à quelques décennies de distance par des photographes tels que Daido Moriyama ou David Goldblatt. Ajouts d'images, changements de formats : ce que l'on pouvait penser canon était parfois contingence.
Face à ces débats byzantins, Gerry Johansson opte pour le déroulé le plus neutre, le plus arbitraire et tout à la fois le plus rationnel qui soit : les photos de Deutschland sont présentées par ordre alphabétique de lieux de prise de vue. De Alt Horsbüll à Würzburg. Depuis plus de 30 ans, le photographe suédois développe une œuvre topographique aussi ambitieuse dans son projet qu’épurée dans sa forme. Deutschland est le dernier volume d'une série initiée en 1988 avec Amerika. Ont suivi, Sverige (Suède), Kvidinge, Ulan Bator et Pontiac. Chacun est voué à une ville ou un pays. Tous ont le même format de 24 x 17 cm. Tous sont composés de 6 x 6 noir et blanc reproduits en une taille de 9 x9 cm. Tous, sauf la première édition d'Amerika, ont une couverture de grosse toile beige portant une photo en embossage.
Toute œuvre globalisante et systématique est fascinante et vertigineuse à la fois. Celle de Gerry Johansson produit ce double sentiment. Ses photos sont vides de toute présence humaine et d'affects apparents. Elles se posent en purs constats. Comme dans ses projets précédents, le photographe balaye l'ensemble des formes du territoire qu'il s'est choisi : campagne, zones périurbaines, usines ou centres-villes. Pourtant, cette froideur descriptive est en permanence contrebalancée par le sens de la composition de Johansson et l'usage du format carré. Chaque image est également une pure composition de géométrie lyrique.
Gerry Johansson, Deutschland, Mack, reliure toilée avec photo en embossage, 352 pages. Conception graphique : Henrik Nygren.
Allez voir ailleurs !
Le site de Gerry Johansson. Celui de Mack.
Chronique de Pontiac. Présentation de Deutschland sur One Year of Books.