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Grégoire Eloy : A BLACK MATTER


Certains ne font pas dans la facilité. C'est le cas de Grégoire Eloy et de son éditeur, Journal. A Black Matter traite d'un sujet inphotographiable auquel une bonne partie de la population –à commencer par l'auteur de ces lignes– ne comprend rien : l'astrophysique. Traquer la matière noire (matière hypothétique dixit Wikipedia !) en est pour une part l'affaire. On n'en sait pas grand-chose, mais l'on conjecture qu'elle serait à l'origine des galaxies et qu'elle représenterait 75 % de la matière de l'univers. Histoire d'améliorer leur cas et leurs chances de succès commercial, l'auteur et l'éditeur ont jugé bon de concevoir un livre sans les moindres textes explicatifs ou légendes. Autant de radicalité, voire d'inconscience, force le respect et fait un excellent livre.


A Black Matter est le fruit d'une commande de F93, centre de culture scientifique en Seine-Saint-Denis. Étalée sur cinq mois, la mission stipulait que le photographe devait mensuellement rendre les images effectuées dans les semaines précédentes. Celles-ci étant immédiatement mises en ligne sur le site de F93. Tirant parti de cette contrainte, Grégoire Eloy a décidé de diviser son travail en chapitres, chacun traité d'une manière différente. La réalité de l'activité scientifique, tout à la fois intellectuelle et matérielle, le refus des stéréotypes médiatiques, la volonté de tenir un discours strictement photographique l'ont conduit à multiplier les approches. Tantôt documentaires, tantôt métaphoriques. Tantôt en couleur, tantôt en noir et blanc. Dans le registre documentaire figure la représentation de l'Institut d'Astrophysique de Paris ou celle du Laboratoire Souterrain de Modane. Enterré à 1700 m sous les Alpes, on y accède par un embranchement du tunnel du Fréjus. De cette partie du travail ressort la très grande amplitude matérielle et technique dans laquelle se déploie la recherche scientifique : locaux universitaires banals, expériences bricolées avec une couverture de survie ou des tuyaux d'arrosage achetés en grande surface d'un côté, accélérateurs de particules de l'autre. La métaphore réside dans des photos nocturnes et noir et blanc du plateau de Saclay, là ou est situé le service astrophysique du Commissariat à l'Énergie Atomique. Et dans d'autres, diurnes et couleur, manipulées dans Photoshop où la lumière solaire devient si écrasante que les valeurs de noir disparaissent. Métaphore encore, lorsque Grégoire Eloy photographie ces "cartes" de l'univers que l'on trouve chez Nature & Découvertes. Ces représentations sont des fictions bien sûr, mais les scientifiques aiment à les accrocher dans les couloirs de leurs bureaux. Comme si le concept ne pouvait se départir d'une représentation "réaliste" rassurante. Entre documentaire et métaphore se situent les portraits d'astrophysiciens posant comme en apesanteur ou éclairés d'un coup d'open flash.


Depuis le XIXe siècle, science et photographie ont partie liée tant le médium est lui-même technologique et tant les photographes –Berenice Abbott pour ne citer qu'un nom– ont œuvré à la représentation du fait scientifique. Dans cette lignée, Grégoire Eloy écrit un chapitre qui succède aux Sites of Technology de Lewis Baltz. En 1989-91, Baltz, avec son caractère visionnaire et son rigorisme, notait l'impossibilité de comprendre ce que l'on peut voir des technologies de l'information alors naissantes. Eloy, conscient de cette limite, nourrit aussi de son passé dans le photojournalisme, multiplie les angles pour, au fond, traquer cette matière noire : la créativité humaine.

Grégoire Eloy, A Black Matter, Journal & F93, reliure toilée avec photo en embossage, 104 pages.


Allez voir ailleurs !

Le site de Grégoire Eloy.

En 2013, Journal, éditeur suédois aussi discret que prestigieux, ne dispose toujours pas d’un site internet. On trouvera donc quelques images supplémentaires de A Black Matter sur le site de Dalpine.

Conversation avec Lewis Baltz.

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