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JH Engström CDG / JHE



Quiconque s'intéresse un tant soit peu à l'architecture du XXe siècle ne peut rester indifférent face à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, conçu par l'architecte Paul Andreu. Pour qui arrive par la route, Roissy 1 est une forteresse peu lisible de l'extérieur. Une sorte de château fort enchevêtré entre les autoroutes, les pistes et les voies ferrées. Cela est dû sans doute à sa conception brutaliste qui assujettit la forme à la fonction (1). Tout y est conçu pour optimiser l'intermodalité : sortir d'un taxi, laisser ses bagages au niveau de la route, monter par un tapis roulant s'élevant dans la cour centrale du château vers le niveau des départs, avant de plonger sous terre pour rejoindre, toujours par tapis roulant, les satellites où les avions viennent s'amarrer. C'est à ce rêve (ou ce cauchemar) machiniste que se confronte JH Engström dans son dernier livre.



Les deux ouvrages précédents du photographe suédois, Trying to dance et Haunts avaient la force d'un coup de poing au ventre. Mêlant nus, portraits et autoportraits, paysages ou scènes de déglingue ils représentaient la quintessence du mal-être de trentenaires déboussolés entre rêves de pastoralisme et aliénation urbaine. L'autobiographie était une donnée assumée de ces livres où l'influence d'Anders Petersen ou de Juergen Teller, entre autres, restait perceptible. Avec CDG / JHE, jeu lettriste entre le code international de l'aéroport parisien et ses propres initiales, Engström réalise un virage sur l'aile. Et il n'est pas grand-chose de plus passionnant que d'observer un auteur changer de direction sans se renier. Pas de reniement, car pour Engström, Roissy est un lieu de mémoire, autobiographique. À l'âge de dix ans, avec ses parents il quitte son pays pour vivre trois ans à Paris. CDG fut pour lui comme pour bien d'autres la porte d'entrée, voire la porte de la perception qu'il n'a cessé depuis de franchir encore et encore : multiples séjours parisiens durant l'adolescence avant de revenir en 1991 comme assistant du photographe de mode Mario Testino. Pour réaliser CDG / JHE, Engström s'est installé pendant trois semaines dans un hôtel de l'aéroport. Les images qu'il a tirées de cet étrange séjour sont d'une grande pureté formelle, à l'inverse de ses ouvrages précédents où il usait volontiers du flou, du décadrage ou de la surexposition. Ici, il documente avec une certaine neutralité l'univers minéral de l'aéroport, mêlant amples paysages et détails choisis. Pourtant, les photos sont comme voilées. Une couche sombre (2), dont on ne sait si elle provient de la prise de vue, du tirage ou d'un photoshopage, vient renforcer l'aspect claustrophobique d'un paysage futuriste déserté par l'homme.



Ce traitement des images invite à ne pas limiter ce qui se joue dans CDG / JHE à une expérience autobiographique ou à une jouissance architecturale esthétique. Parangons de la modernité au XXe siècle, symboles de la société de consommation et de la mondialisation heureuse, les aéroports sont devenus après le 11 septembre des lieux policiers, ultra-surveillés et anxiogènes où les déplacements des voyageurs sont strictement encadrés. En pointant son objectif sur Roissy et son architecture machiniste, Engström met en évidence l'ambivalence de notre regard et de notre perception des archétypes de la modernité. Dans une forme renouvelée, il reste fidèle à son projet de départ : interroger l'ambiguïté de nos sensations.


(1) La promenade architecturale est bien plus évidente pour qui atteint Roissy 1 depuis le ciel. Du hublot de l'avion qui rejoint son satellite, le terminal apparait comme une sorte de Mont-Saint-Michel de béton que l'on va peu à peu découvrir en suivant le chemin inverse à celui évoqué ci-dessus. Moins froid, plus ouvert sur la lumière naturelle, le T2 est également esthétiquement fort et tout autant tourné vers l'efficacité.
(2) Ce voile est à l'exact opposé des surexpositions dont usait Paul Graham en 2003 dans American Night .


JH Engström, CDG / JHE, Steidl, 112 pages.


Allez voir ailleurs !

D’autres images sur le site de l’éditeur .

Quelques images de Roissy sur le site de l’architecte Paul Andreu .

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