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Joel Sternfeld FIRST PICTURES


Pour un photographe, choisir de montrer ses premières images témoigne d'une certaine générosité. En effet, s'y dévoilent à la fois les influences et les prémices de l'œuvre à venir. Il faut donc comprendre ce type d'ouvrages comme une clef de (re)lecture du corpus connu. À ce seul titre, le First Pictures de Joel Sternfeld serait un ouvrage passionnant comme peut l'être le Before Color de William Eggleston. La différence essentielle entre les deux hommes étant que Sternfeld, à peine plus jeune qu'Eggleston pourtant, ne passe pas par le noir et blanc mais photographie dès ses débuts en couleur, au Kodachrome. L'impression de First Pictures, particulièrement réussie, rend de manière éclatante la chaleur de ce film. L'ouvrage regroupe quatre séries conçues entre 1971 et 1980. Toutes, sont réalisées en 24x36. C'est dans la décennie suivante, qui culminera avec la publication d'American Prospects, que Sternfeld passera à la chambre. La première série, Happy Anniversary Sweetie Face ! réalisée entre 1971 et 1978, souffre d'un certain éparpillement : portraits, paysages, close-up. Sternfeld s'y cherche. Une paire de platform shoes rouges évoque Guy Bourdin. Des téléviseurs dans une vitrine font penser à Friedlander. Le panneau publicitaire sur lequel est inscrite la phrase qui donne son titre à la série rappelle la célèbre photo de Margaret Bourke-White où une pub énonce "There's no way like the american way". C'est l'un des plaisirs de ce type d'ouvrage que d'y chercher de telles correspondances. La plupart des photos pourtant, telle celle d'un homme, attaché-case à la main sur un parking, posent les jalons du Sternfeld d'American Prospects et de Stranger Passing. Certaines images enfin, sont tout simplement d'incroyables témoignages de la culture populaire des années 1970, à l'instar de celle représentant deux gamins d'une dizaine d'années, l'un vêtu d'un t-shirt à l'effigie de Farah Fawcett tandis que l'autre exhibe le célèbre poster über-sexué de l'actrice.



En 1974, Sternfeld a fait la connaissance de William Eggleston et a passé quelque temps à ses côtés. Ce qui lui a permis de le définir comme le maître du "poetic snapshot". Il décide donc de prendre le parti inverse et d'utiliser la photographie et les séquences pour construire des récits. Ainsi, Nags Head, 1975, la deuxième série de First Pictures a été réalisée durant quelques semaines d'été passées dans cette station balnéaire de Caroline du Nord. Ramassées dans le temps, les photos le sont aussi dans la forme. Il s'agit d'un essai photographique sur les vacances, les jeux de plage, les soirées de fête, la topographie des lieux. Le sujet ou les lumières évoquent parfois Joel Meyerowitz. Mais plus essentiel, à 30 ans, Sternfeld regarde avec empathie les modes de socialisation d'une jeunesse dont il est proche encore, mais s'éloigne déjà.


Avec Rush Hour (1976), Sternfeld franchit un cap, se fait plus critique. Ce qui sera une des marques de fabrique de son œuvre futur. En ce bicentenaire de l'indépendance des États-Unis, il choisit de portraiturer sans complaisance ses concitoyens tels qu'il peut les croiser dans les rues de New York Chicago ou Philadelphie. L'emploi de l'open flash obscurcit les fonds et dramatise les scènes. Ces photos anticipent les développements de la street photography des années 1980 et 90 telle qu'ont pu ensuite la pratiquer Bruce Gilden, Beat Streuli ou Philip-Lorca diCorcia.

At the Mall, New Jersey clôt le volume, et pour la première fois, 30 ans avant son iDubaï, Sternfeld se confronte explicitement à la société de consommation. Mais contrairement à l'ennui qui sourd des malls de Dubaï, une certaine joie de consommer se manifeste encore en 1980. Le photographe a demandé à la plupart de ses modèles de présenter l'objet qu'ils viennent d'acquérir. Les images manifestent le dérisoire de cette fièvre acheteuse sans pour autant stigmatiser ou moquer la satisfaction provisoire qu'en retirent les consommateurs.


Joel Sternfeld, First Pictures, Steidl, relié, 320 pages. Conception graphique : Joel Sternfeld, Gerhard Steidl et Duncan Whyte.

Allez voir ailleurs !

D’autres photos sur le site de Steidl et sur One Year of Books.

L’article que nous avons consacré à iDubai et la video où Sternfeld et Steidl en choisissent la couverture.

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