
Woo !, l'exposition de Juergen Teller à l'Institute of Contemporary Art (ICA) de Londres, début 2013, était une parfaite réussite, tant elle questionnait les possibilités de monstration de la photographie aujourd'hui. Dans la première salle, cinq images immenses représentaient Curt Cobain, Vivien Westwood nue et un petit chat ("a pussycat", humour typiquement Teller). Dans la sorte de couloir qui surplombe cette salle, une série de petits formats, tous de même taille, encadrés de bois blanc, formait classiquement une frise. Ces photos sylvestres, réalisées avec la complicité de la mère de l'artiste, traçaient une autobiographie de l'enfance à ses débuts londoniens en 1986. À l'étage, l'exposition jouait de blancs variables entre des images aux formats divers, de l'intime au monumental.
Mais le cœur de l'exposition battait dans la reading room, salle privée de lumière du jour, sorte de grotte située sous le café de l'ICA, à laquelle on accède en descendant quelques marches. Juergen Teller y présentait un overall, tapissant les murs du sol au plafond de ses photos, collées façon papier peint. Photos publicitaires, commandes de magazines et images de famille mêlées. Le spectateur se trouvait noyé dans un maelström d'images. Le regard ne sachant où se poser. Juergen Teller ne fait aucune différence entre photos personnelles ou commerciales. Il peut aussi bien faire poser des amis pour une campagne ou réaliser un travail personnel avec un top model. Et ce flux d'images, pauvrement traitées, sous forme de misérable papier peint, venait souligner cette équivalence tout en correspondant à la forme "grunge" de sa photographie et en rejetant la vanité du luxe. La photo sur papier glacé faisait tapisserie.

Récemment paru, Woo ! le livre, est tout aussi excitant, en ce qu'il abolit la frontière entre catalogue d'exposition et livre d'artiste. Aucun texte critique pompeux. Au centre, la série sylvestre autobiographique "Irene im Wald". De part et d'autre, des centaines de "close up" des papiers peints de la reading room de l'ICA. Les images s'entrechoquent, sont coupées par le bord de la page. Se répètent, se font écho, sont maltraitées. On ne sait qui les a réalisées, Juergen Teller, un assistant ou un mercenaire. Peu importe. La cohérence dans le chaos est totale. L'ensemble forme un catalogue dé-raisonné de l'œuvre du photographe.
Seul bémol, l'exposition ayant également été présenté au Palazzo Reale de Milan, les vues des photos de Teller, accrochées sur des tapisseries XVIIIe siècle, viennent un peu affaiblir le propos. À moins qu'elles ne soient un pied de nez supplémentaire.
Juergen Teller, Woo !, Steidl, relié sous jaquette, 336 pages. Conception graphique : Juergen Teller et Peter Miles.
Allez voir ailleurs !
Présentation du livre sur le site de Steidl.
Visite de l’expo avec Juergen Teller sur celui de l’ICA.
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