
Pourquoi écrire ici sur un ouvrage qui n'est pas un livre de photo ? Tout d'abord c'est un livre AVEC des photos. Ensuite, l'usage fait ici de la photographie est en parfaite adéquation avec les sujets traités : Proust (la recherche d'éléments du passé) et le monde des proustiens et des collectionneurs en général (le fétichisme).
Voici donc de quoi il s'agit. Il y a quelques années Lorenza Foschini interviewait Piero Tosi, le costumier attitré de Luchino Visconti. Au bout d'un moment, l'entretien se porte sur le projet inabouti du cinéaste d'adapter l'œuvre de Proust. Tosi avait été envoyé en repérage à Paris. Après de multiples rencontres avec des gens ayant connu Proust ou les modèles des personnages de La Recherche, il découvre l'existence d'un collectionneur des œuvres et memorabilia de Proust. Il rencontre alors Jacques Guérin, un industriel de la parfumerie. Ce dernier lui avoue avoir réuni chez lui les meubles de la chambre de Proust et mieux être en possession du fameux manteau que Proust portait en toute circonstance et dont il s'enveloppait pour écrire allongé dans son lit. Et de les lui montrer. Ébahie par cette histoire, la journaliste se met en quête de la vie de ce collectionneur et à la recherche du devenir des précieux vestiges. La reconstitution de la vie retrace les chemins tortueux qui ont permis à Guérin de se procurer ses trésors. Quant à retrouver meubles et manteau cela est aisé : Jacques Guérin peu avant sa mort en a fait don au musée Carnavalet. La chambre est reconstituée dans les salles d'exposition. Le manteau, trop fragile, dort dans une réserve à laquelle où la journaliste a eu accès a pu le voir, tout comme Piero Tosi, trente ou quarante ans plus tôt chez Jacques Guérin. L'histoire racontée est passionnante.
Mais, en quoi tout ceci concerne-t-il la photographie ? Eh bien, le livre s'ouvre en frontispice d'un portrait de Marcel Proust à Évian vers 1905 portant LE manteau. Page immédiatement suivie d'une photo du manteau réalisée en 2008 au musée Carnavalet. Il git encadré de papiers de soie formant linceul dans une boîte comme un cercueil. L'effet de montage qui rapproche ces deux images a évidemment une fonction déictique : "voyez, il n'y a pas tromperie sur la marchandise". Ou, "ce que j'ai promis, je le ferai". Moins prosaïquement, on retrouve là le topos de la preuve par l'image ou encore le concept sémiologique (Peirce, Rosalind Krauss) de la photo comme trace, comme indice d'une contiguïté physico-chimique entre l'objet et sa représentation photographique. Suit un portrait de Jacques Guérin de 1941, le héraut qui réunit les images de 1905 et de 2008. Après ces trois photos, se développe le texte du livre narrant l'histoire du manteau et de son sauvetage par Guérin. Les photos réapparaissent en clôture de l'ouvrage. Une séquence de huit images présente la découverte de l'auguste vestige par Lorenza Foschini. On voit d'abord une boîte marquée "Manteau de Proust" sur le rayonnage d'une réserve. Puis les différentes phases du dévoilement de la relique. Puis, enfin, la journaliste pose à côté de son trophée. La boucle est bouclée : de Proust portant son manteau à la découvreuse (comme on le dit de trésors engloutis) de celui-ci, la photographie, humble servante des arts, des lettres et du fétichisme, joue son modeste rôle de preuve par l'image.
Le plus amusant dans toute cette histoire, est sans doute, que tout en étant critique envers cette approche fonctionnaliste (essentialiste ?) de la photographie, l'amateur de Proust et le collectionneur qui sommeillent en nous ne peut s'empêcher de scruter ces photos mal reproduites sur du papier bouffant, à la recherche du moindre indice, de la moindre vérité de l'image…
Quoi qu'il en soit, Le Manteau de Proust est chaudement recommandé pour le récit du sauvetage de souvenirs de l'écrivain par l'esthète Jacques Guérin, mais aussi pour celui de la destruction par le feu de nombreux documents par Marthe Proust, sa belle-sœur.
Lorenza Foschini, Le Manteau de Proust, Portaparole, 106 pages.