
De prime abord, on pourrait être tenté de se dire "encore un livre sur les livres." Ce serait oublier que cette production éditoriale foisonnante depuis une dizaine d’années contribue à écrire une histoire qui ne l’avait jamais été et a, par conséquent, accru les connaissances du public de la photographie. Des plus généralistes, ceux de Martin Parr et Gerry Badger, à ceux consacrés à une ère géographique, l’Amérique latine, les Pays-Bas, la Suisse, l’Allemagne, la Chine ou l’Espagne, et on en oublie sans doute, en passant par ceux dédiés à une ville, Paris ou New York, chacun apporte sa pierre à l’édifice.
Celui que Fred Ritchin et Carole Naggar consacrent aujourd’hui aux livres des photographes de Magnum est remarquable à bien des égards. À ce moment, j’entends déjà les grincheux soupirer "encore Magnum." Pourtant, bon nombre de livres majeurs sont le fait des photographes de l’agence. D’Images à la sauvette de Cartier-Bresson à The Maze de Donovan Wylie. Ou encore, East 100th Street de Bruce Davidson, Vietnam Inc. de Philip Jones Griffiths, Les Gitans de Josef Koudelka, Nicaragua de Susan Meiselas, Telex Persan de Gilles Peress, Raised by Wolfes de Jim Goldberg ou Sleeping by the Mississippi d’Alec Soth pour n’en citer que quelques autres.

Par rapport à d’autres livres sur les livres, les auteurs de Magnum, les livres de photographies partent avec un avantage qu’ils exploitent parfaitement. Ils travaillent sur un corpus fermé : l’ensemble des livres publiés par les photographes étant ou ayant été membres de l’agence, publiés entre 1938 (avant la création de Magnum, donc) et 2016. Soit un bon millier de titres tout de même. Chacun fait l’objet d’une notice bibliographique. En cela, cet ouvrage est un outil de référence indispensable.
Le livre se divise en trois parties. La première présente de manière détaillée une centaine d’ouvrages majeurs. Le premier est Death in the Making de Robert Capa (1938), le dernier Libyan Sugar de Michael Christopher Brown, prix du premier livre Paris Photo-Aperture Foundation en 2016. Outre des textes précis, mettant en avant les enjeux de chaque livre et dévoilant les propos des photographes sur leurs intentions, cette partie met à mal la vision d’une production Magnum monolithique et stéréotypée que ce soit en couleur ou en noir et blanc. Si, bien sûr, des origines à nos jours, certains photographes respectent la lingua franca du photojournalisme, beaucoup inventent des écritures nouvelles.

La deuxième partie, intitulée "Les archives : créer les livres de photographies" présente le making off de certains des livres Magnum. Textes, maquettes, correspondances dévoilent une part de la conception des livres. On notera par exemple les indications de Paul Fusco sur ce qu’il souhaite pour la mise en page de RFK Funeral Train. C’est évidemment passionnant. On regrettera juste que cette partie ne soit pas plus développée. Mais elle pourrait sans aucun doute constituer un livre à elle seule.

La troisième partie prend donc la forme d’une bibliographie exhaustive (les auteurs et l’éditeur emploient le terme de catalogue raisonné) des livres publiés par les photographes de l’agence en choisissant, à juste titre, de faire l’impasse sur les livres conçus sans la collaboration des auteurs. Sans surprise, le plus prolifique est Martin Parr avec 99 livres à ce jour. Plus étonnant pour qui n’est pas dans les arcanes de Magnum, il est talonné par Erich Lessing, 72 livres au compteur. Cela s’explique par le fait que Lessing (membre de Magnum depuis 1951) après une première carrière de photojournaliste a choisi à partir de 1960 de se tourner vers la reproduction d’œuvres d’art et la photo de monuments. Il a ainsi publié des livres sur Rome, Venise ou le Louvre. Raymond Depardon pointe à la troisième place avec "seulement" 62 titres à fin 2016.
Fred Ritchin et Carole Naggar, Magnum, Les livres de photographies, relié, 272 pages. Conception graphique : Mues Design.
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Présentation du livre sur le site de Phaidon.