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Peter Piller SWISS LANDSCAPES

Encore un

livre de photos vernaculaires. La tendance, lourde, est notamment soutenue par Martin Parr à travers ses choix de commissaire d'exposition (à Arles en 2004) ou dans sa sélection d'ouvrages dans Le Livre de photographie. On pense aussi aux joyeux allumés de Useful Photography qui publient régulièrement des sélections de photos utilitaires. Si l'époque raffole de ce type d'ouvrages, leur production n'est pas nouvelle. Pour rester dans la période récente, le Wisconsin Death Trip de Michael Lesy date de 1973 et présente des photos réalisées entre 1890 et 1910. Evidence de Larry Sultan et Mike Mandel, composé de photos provenant des archives de diverses institutions américaines paraît en 1977. On pourrait encore citer le Pornografie de Klaus Staeck (1971) réalisé à partir d'images de presse ou les multiples ouvrages de Hans Peter Feldmann.


Au cours des années récentes, citons encore le Kaddish de Christian Boltanski, gigantesque registre des victimes juives et des bourreaux nazi, le Floh de Tacita Dean basé sur des images trouvées sur des marchés aux puces, ou encore le trop méconnu Casa Susanna recueil de "photos de famille" d'un groupe de travestis dans une banlieue américaine des années 1960.


Cette production relativement abondante depuis près de 40 ans postule une équivalence des images. Photos de familles, clichés publicitaires ou images de presse se valent. Elles sont des représentations du monde. Dès lors, le rôle de l'artiste (qui se fait éditeur pour l'occasion) est d'organiser ce chaos de millions d'images en circulation. Par ses choix, par son travail d'editing, il se charge de produire du sens à partir d'images qui n'ont pas été conçues pensées comme des œuvres d'art. Autrement dit, il s'agit de convertir des images conçues pour une valeur d'usage (familial ou commercial) en un ensemble pensé construit hors de toute valeur d'usage. C'est là que se produit la transmutation d'images lambda en œuvres d'art.


Dès sa couverture, le Swiss Landscapes de Peter Piller attire l'attention. Les textes sont composés en Helvetica (of course !) en rouge sur fond blanc. Dans le même temps, un bandeau rouge comme ceux qui ornent les lauréats des prix littéraires porte le titre en blanc. D'une manière purement graphique, l'intention de l'auteur est claironnée : présenter des paysages suisses. Un feuilletage rapide, s'il confirme le caractère helvétique de l'ouvrage (neige, chalets, sommets alpins…) laisse l'impression d'avoir à faire à un recueil de snapshots indécidables tel que la photographie contemporaine en produit en nombre. Il faut se référer aux quatre lignes de textes apposées au dos du bandeau de couverture pour prendre conscience que les 122 images du livre proviennent des archives de l'Assurance Bâloise. L'auteur les a sélectionnées parmi près de 500 000 photos de scènes d'accident réalisées en numérique par les agents de la compagnie d'assurance entre 2001 et 2005.



Cette information connue, on regarde évidemment ces photos d'un autre œil. On cherche tout d'abord à comprendre la nature du sinistre photographié. Quelques fois cela est assez évident (incendies, inondations). La plupart du temps c'est complètement impossible : les photos, pur "ça a été" ne livrent aucune information sur ce qu'a été ce fameux "ça". Et l'on imagine que l'un des plaisirs de l'auteur a été de troubler cette lecture essentialiste des images. Cette première quête de sens refusée, on en vient à rechercher une approche esthétique. Malgré (ou grâce à) leur piètre qualité technique, ces images forment un ensemble poétique. Dans leur silence, dans leur indétermination, dans le choc de leur succession, ces photos composent une forme de "tombeau" du paysage suisse moderne. Ce qui est le sentiment ressenti devant la plupart des recueils de photos vernaculaires : faire face à une matière morte qu'un auteur tente de réanimer.


Archiv Peter Piller mimmt Schaden (qui peut se traduire par “Les archives Peter Piller prennent acte des dommages), Swiss landscapes, Christoph Keller Editions et JPR Ringier, 128 pages.


Allez voir ailleurs !

Useful Photography , le site.

JPR Ringier , l’éditeur de Swiss Landscapes.

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