
Pour la deuxième fois cette année, Pieter Hugo donne tort à ceux qui ont pu lui reprocher de donner une représentation spectaculaire de l'Afrique. Après la décharge d'ordinateur de Permanent Error, il revient sur un sujet bien plus tragique encore, le génocide des Tutsis par les Hutus en 1994. Comme souvent chez lui, c'est par les médias qu'il a découvert son sujet. En 2004, il lit dans un magazine que, dix ans après les faits, les traces des crimes sont encore visibles un peu partout au Rwanda. Ainsi qu'il l'explique dans la préface, cela déclenche en lui une série de questions, et ravive le souvenir des images qui en 1994 tournaient en boucle sur les télés. Un irrépressible désir d'aller voir par lui-même le saisit alors. Ce que montre Pieter Hugo à dix ans de distance est parfois terrifiant. Dans la campagne, des charniers sont toujours ouverts. Dans une église –aujourd'hui transformée en mémorial– les ossements humains gisent au milieu de restes de vêtements, de chaussures. Ailleurs, la rage meurtrière des bourreaux s'affiche sur des façades de salons de coiffure : les peintures qui ornaient les devantures ont été à demi détruites, car les personnes représentées ressemblaient à des Tutsis. L'iconoclasme comme symbole de la barbarie. Ailleurs encore, c'est la banalité qui domine : une rue poussiéreuse où passent des vélos, un paysage de lac magnifique ont été le théâtre d'atrocités et il n'en reste rien. Le texte qui accompagne les photos est alors la seule manière de savoir ce qui s'est passé.
Rwanda 2004, Vestiges of a Genocide, s'inscrit pleinement dans la tendance contemporaine que l'on désigne en anglais par "Aftermath Photography". Autrement dit, la photo de l'après. Nathalie Herschdorfer y consacre justement un ouvrage intitulé dans sa version française Jours d'après. Il s'agit donc pour elle de considérer les photographes qui, au contraire des photojournalistes, ne couvrent pas l'événement à chaud, mais prennent le temps d'en observer les conséquences. Une partie de Rwanda 2004 s'y retrouve. Les livres compilant les travaux de divers photographes sont souvent d'ennuyeux catalogues. Celui-ci échappe à ce travers pour plusieurs raisons. Tout d'abord par le choix des photographes. On y trouve outre Hugo, des noms aussi établis que Broomberg & Chanarin, Tillim, Polidori ou Dallaporta mêlés à d'autres qui le sont parfois moins. Ensuite, Jours d'après, a le mérite de faire, de manière pédagogique, un point concret sur cette "Aftermath Photography" contemporaine et son inscription dans l'histoire de la photographie. Dans son introduction, Nathalie Herschdorfer rappelle à juste titre les précédents, de Roger Fenton à Sophie Ristelhueber. Enfin, la nature même du sujet, souvent énigmatique de prime abord pour les séries que l'on ne connaît pas, fait que l'on se précipite sur les textes introductifs pour mieux ensuite percer les intentions des photographes.
Pieter Hugo, Rwanda 2004, Vestiges of a Genocide, Oodee, reliure toilée, 72 pages, édition limitée à 500 exemplaires. Conception graphique : Damien Poulain.
Nathalie Herschdorfer, Jours d’après, quand les photographes reviennent sur les lieux du drame, Thames & Hudson, relié sous jaquette, 192 pages.
Allez voir ailleurs !
Le site de Pieter Hugo et celui des éditions Oodee.
Biographie et interview de Nathalie Herschdorfer. Le site de Thames & Hudson.
La conversation que nous avons eu avec Pieter Hugo en juin 2011 et l’article consacré à Permanent Error.