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Pieter Hugo THIS MUST BE THE PLACE


Il est rare qu'un photographe de 36 ans se voit offrir une rétrospective. Tout comme il est rare qu'une monographie parvienne à dépasser le statut de simple compilation de travaux déjà connus. Pieter Hugo réussit l'un comme l'autre. This Must Be The Place modifie profondément la vision parfois superficielle que l'on pouvait avoir du photographe sud-africain et met en évidence deux points saillants : son "désir égoïste de voir" selon ses propres mots lors d'une conversation au Fotobook Festival de Kassel, et sa volonté de rendre compte des multiples et complexes réalités de l'Afrique. À mille lieues de la caricature dans laquelle certains ont parfois voulu l'enfermer. Dès la couverture, la dualité au cœur de son travail apparaît. On y voit un juge noir du Botswana dans sa tenue de fonction, directement tirée de la tradition judiciaire britannique. Un malaise ressort de cette image. Celui perceptible du personnage, le notre aussi face à ce tout jeune homme ainsi "déguisé". Le présent de l'Afrique est le fruit d'une histoire. Ces pays ont gagné leur indépendance, mais le passé colonial adhère.


This Must Be The Place met ainsi en évidence le caractère profondément duel de l'œuvre du photographe : riche/pauvre, blanc/noir, moderne/archaïque, normal/anormal, public/intime, réel/représentation sont quelques-uns des distinguos dont projet après projet il interroge la pertinence. Le livre s'ouvre sur des extraits de Looking Aside le premier livre de Hugo. Soit, des portraits d'aveugles, d'albinos ou de vieillards, dont la grand-mère du photographe. Dès lors s'impose la volonté de regarder en face ce que nous préférerions ne pas voir. Vient ensuite une série inédite "There's a place in hell for me and my friends". Le photographe s'y représente lui et ses amis en noir et blanc. Mais par une manipulation numérique, il modifie la tonalité des épidermes. Manière d'interroger les apparences et de signifier que nous pourrions tous être de ceux que l'on regarde de travers. La mise en relation de ces deux séries souligne une dimension trop peu perçue jusqu'à présent du travail d'Hugo : son aspect autobiographique. La fin du livre en donnera l'ampleur.



Suivent deux effrayants portraits mortuaires extraits d'un projet consacré aux victimes du Sida. Puis la série des juges et d'autres, consacrées à de jeunes garçons de fermes Afrikaners, à des scouts noirs au Libéria, à des laveurs de taxis où à des chasseurs de miel sauvage au Ghana. Surviennent alors des séries plus connues, Rwanda : Vestige of a Genocide, Messina/Musina, sur une ville schizophrénique entre industrie du diamant et prostitution, tourisme et réfugiés. Puis Nollywood sur les studios de cinéma au Nigeria, The Hyena & Other Men, le travail qui a rendu Pieter Hugo célèbre et enfin Permanent Error consacré à une décharge d'ordinateurs au Ghana. Autant de manière de dépeindre les diverses modalités de la vie africaine contemporaine entre héritage colonial et modernité, pauvreté et traditions séculaires.


Passé cette séquence, This Must Be The Place se clôt par un travail au long cours "Kin" soit "parents" ou "famille". S'y mêlent paysages et portraits, images politiques et d'autres intimes. S'y trouvent par exemple la vue depuis la chambre de Kaiser Matanzima, un neveu de Mandela que l'on peut considérer comme un collaborateur du régime d'Apartheid, le portrait d'une vieille femme (noire bien sûr) qui, toute sa vie, fut la bonne de la grand-mère du photographe, celui de sa femme nue et enceinte ou encore celui de leur fille Sophia au premier jour de sa vie. Plus encore que tous les travaux précédents de Pieter Hugo, "Kin" impose la sidération. S'y dévoile le fait que son impérieux désir de voir, malgré la distance et le hiératisme de ses images, ne connaît pas de barrières. Que rien, intime ou public, marginal ou quotidien n'y résiste.


Pieter Hugo, This Must Be The Place, Prestel, relié sous jaquette, 228 pages.


This Must Be The Place, exposition au The Hague Museum of Photography jusqu’au 20 mai 2012 puis au Musée de L’Élysée à Lausanne du 9 juin au 2 septembre 2012.


Allez voir ailleurs !

Le site de Pieter Hugo. Celui de son éditeur Prestel.

La série “There’s a place in hell for me and my friends” ainsi que d’autres sur le site de la galerie Stevenson.

Présentation video de l’exposition de La Hague

Une conversation avec Pieter Hugo.

Compte-rendu de Permanent Error et de Rwanda 2004 : Vestige of a Genocide.

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