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PLAYBOY : POSTERS, LA COLLECTION COMPLÈTE



649 ! C'est le nombre de jeunes femmes qui se sont effeuillées en pages centrales de Playboy depuis 1953. De format oblong, un épais volume à la couverture noire, véritable tombeau (au sens littéraire du terme) de l'œuvre de Hugh Hefner le fondateur de Playboy reproduit aujourd'hui l'ensemble de ces posters. Playboy représente un phénomène de société, et marque l’histoire de la presse : les titres à connaître une telle longévité ne sont pas si nombreux. Ses photos de pin-up en pages centrales sont une signature immédiatement identifiable. Force est donc de les considérer comme un pan important de la pop culture qui, partie des États-Unis dans l'après-guerre, a déferlé sur le monde depuis. En tant que telles, elles véhiculent un discours (ou des stéréotypes) sur la société. Leur réunion en un seul recueil permet de se faire une idée de ce discours, mais aussi de prendre conscience d’une ligne éditoriale faite d’une grande permanence thématique et de de prudentes évolutions photographiques et iconographiques.

A feuilleter l’ouvrage, on ressent une impression de grande répétitivité. Impression confirmée par une rapide recension des principaux éléments caractéristiques des images (1). L'univers domestique est le principal terrain de jeu de la Playmate. Plus de la moitié des images sont réalisées dans des intérieurs bourgeois très traditionnels avec draps de satin, boiseries ou lourds rideaux. Là réside l’un des paradoxes de Playboy : promouvoir une vision traditionnelle de la femme au foyer tout en produisant des images (légèrement) transgressives.



La nature est numériquement le deuxième cadre des scènes de nu. Il s'agit généralement d'une nature paisible (sable fin, paysage enneigé) ou domestiquée (jardins romantiques).


Le sport forme également un groupe important (Plus de quarante scènes de sport ou de piscine). Il est à noter que type d'images se multiplie à partir des années 1980. La première évocation d'une activité sportive remonte à 1958, les suivantes surviennent en 1966 et 1967. Puis le thème disparaît pendant toutes les années 70 pour ne réapparaître qu'en 1983 ! La pratique du sport renvoie à une femme active qui prend à bras le corps (que l'on me passe la formule) son destin. Or, cette vision est à l'opposé de l'esthétique Playboy. La femme Playboy regarde le lecteur droit dans l'objectif. Elle s'adresse à chacun en particulier. Mais elle ne fait rien d'autre que de se dévoiler : sans sourire, sans désirs, sans affects, sans activité véritable elle se contente de présenter sa semi-nudité au chaland. Par exemple, on ne la voit jamais "en train de" (faire la vaisselle, tailler ses rosiers, lire ou travailler). À rebours de la machine désirante deleuzienne, son corps est une machine à désirer.



Le sport, même s'il n'est le plus souvent évoqué que de manière métonymique par la présence de quelques accessoires, va donc à l'encontre de la passivité voulue des modèles. Son évocation plus fréquente au cours des trois dernières décennies vaut juste prise en compte des nouvelles réalités sociales : même (surtout) les femmes inactives entretiennent leur physique ailleurs qu'au boudoir ou à la salle de bain. Parallèlement, la thématique de la piscine revient régulièrement depuis les années 1950. Mais l'image de la femme au bain est sans doute éditorialement bien plus acceptable : on ne va pas à la piscine municipale, on se love sur un matelas pneumatique à la surface d'un bassin privé. Encore de l'inaction, de l'absence.


À l'inverse de ces schémas archiprésents, d'autres, sous-représentés, livrent des indications sur ce que n'est pas la playmate. En 54 ans, seulement treize voitures ou motos, trois téléphones, autant d'ordinateurs, deux meubles emblématiques du design moderne, et une scène de bureau. La playmate n'est pas moderne.



Autre fait marquant, la sous-représentation des femmes noires dans une société où les Afro-Américains représentent environ 13 % de la population. La première noire apparaît en 1972, les suivantes en 1975, 1978, 1980, 1990, 2000, 2002, 2005, 2007. Soit neuf au total. On ne peut jeter la pierre à Playboy pour cette absence au cours de ses deux premières décennies d'existence. À titre de comparaison, dans l’univers de la mode, Paco Rabanne sera, en 1966, le premier à faire défiler des modèles noirs et le Vogue américain fera sa première couverture avec un mannequin noir en 1974. Au début des années 1970 Playboy est donc dans l'air du temps. Plus étonnante est la disparition des playmates de couleur dans les années 1980 et 1990. Faut-il voir dans leur retour en grâce dans les années 2000 la prise en compte de la captation de l'esthétique Playboy par les stars du Rap ?


On le voit, ces catégories sont mouvantes dans le temps. De même, au fil de l'histoire du magazine interviennent de prudentes évolutions photographiques et iconographiques. Durant les 13 premiers mois de son existence, l'esthétique Playboy n'est pas encore établie. Les modèles sont photographiés en studio, assis sur un tissu devant un fond coloré, sans aucun souci de réalisme. Les premiers éléments de décors (un arbre de Noël et ses boules) apparaissent en janvier 1955 avec la fameuse pin-up Bettie Page photographiée par la non moins célèbre Bunny Yeager. Le premier canapé apparaît dès le mois d'avril de cette année. Le premier feu de cheminée en juin, la première salle de bain en octobre. Le concept est en place. Dès ces premières mises en scène, l'éclairage artificiel, très travaillé, avec de multiples sources de lumière, s'impose. Cette marque de fabrique perdure jusqu'à nos jours. Jusqu'à fin 1958, nombre d'images semblent retouchées à l'aquarelle ou par quelque autre procédé. Pourtant, malgré leur volonté de réalisme, elles nous paraissent aujourd'hui très fausses (2). Au fil des années 1960, le dispositif Playboy prend son rythme de croisière, les thématiques se mettent en place. Les coiffures changent. De pseudo Rita Hayworth on passe à des similis Brigitte Bardot ou Natalie Wood. Les couleurs se modifient à nouveau, plus chaudes, plus dorées. Tout ceci reste très chaste, les modèles dévoilant qui une paire de seins, qui une paire de fesses.



Années 1970, la libération sexuelle, puis le cinéma porno déferlent sur le monde occidental. Playboy suit calmement la tendance : les premiers poils pubiens apparaissent en janvier 1972, au coin d'un feu de cheminée. Évolution, oui, révolution, jamais. Au cours des années 1970, le décor se fait moins présent (flou ou cadrages resserrés) à mesure que l'exhibition pubienne devient la norme. Puisque l'on a atteint à la matrice, on doit s'y focaliser. Fin 1975, innovation majeure, qui perdure jusqu'à nos jours, le poster est faussement (3) signé par la playmate. Manière de renforcer le lien entre le modèle et chacun des lecteurs/voyeurs. 1976 voit l'apparition de la première asiatique.



Dans les années 80, les coiffures changent encore : l’influence de Dynasty ou de Flashdance est palpable. Les corps changent aussi : les gros seins siliconés se répandent. Le décor est de retour. Ces années voient les deux premières scènes d’exhibition dans des lieux publics. Elles deviendront récurrentes ces vingt dernières années. Suivant sans doute en cela la mode du cinéma porno, l’épilation pubienne se répand fait son apparition à partir du milieu des années 1990 avant de devenir la norme passé l’an 2000. Au cours des dernières années, Playboy demeure fermement campé sur ses fondamentaux anciens ou plus récents : intérieurs bourgeois, nature, salles de sport, exhibition.


Ce qui fascine au travers de ces centaines d'images, réalisées par plus de soixante photographes différents, c'est de voir comment un schéma narratif rapidement bâti dans les années 1950 peut perdurer durant plus d'un demi-siècle en ne faisant que des concessions légères aux modes et aux mœurs. Il est surprenant, par exemple, de constater l’absence d’influence sur Playboy de photographes qui ont particulièrement travaillé sur l’image de la femme dans les années 1970, comme David Hamilton ou Helmut Newton. Dans une répétition du même, subtilement modulé pour toujours rester dans l'air du temps le magazine creuse son sillon. Au final, un excellent ouvrage de sociologie des médias et un parfait exemple de storytelling.


(1) Les voici, classés par ordre décroissant d'occurrences : sur un canapé : 63 occurrences, sur un lit : 55, dans la nature : 46 dans une salle de bain : 28, sport : 26, ouvrant la porte, le rideau ou la fenêtre : 20, feu de cheminée : 15, piscine : 14, voitures ou moto : 13, dans un escalier : 13, femme noire : 9 occurrences, peaux de bêtes : 5, dans la paille : 4, hamac : 4, sapin de Noël : 3, bricolage : 3, téléphone : 3, meubles design : 2, ordinateur : 3, bureau : 1, animal : 1.


À ces catégories de statistique approximative on pourrait en rajouter d'autres, encore représentées de manière significative entre 5 et 10 occurrences : Alcool, Exhibition dans des lieux publics (commerces, cafés), Selles de cheval, Billards et échecs, Bateaux, cabine de DJ (années 90-2000)… Enfin immense catégorie à laquelle répondent quasi toutes les images où aucun élément de décor n'est pas mis en avant : un intérieur bourgeois avec boiseries, vastes fenêtres, lourds rideaux, etc.


(2) Voir la lumineuse analyse d'André Gunthert sur la perception historique et culturelle des couleurs.


(3) Faussement, car on voit revenir régulièrement la même typographie scripte.


Playboy : Posters, la collection complète, Éditions de La Martinière, 720 pages. L’édition originale de ce livre est parue chez Chronicle Books, San Francisco en 2007, sous le Titre Playboy : the complete centerfolds.


Légende des photos (de haut en bas de la page) : 1/ Couverture du Livre. 2/ September 1961: Christa Speck, Photographe : Sam Wu. 3/ November 1992 : Stephanie Adams, Photographe : Richard Fegley. 4/ August 1985 : Cher Butler Photographe : Richard Fegley. Images courtesy Éditions de La Martinière.

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