
Même si telle n'était pas forcément l'intention première de l'auteur, Ruins est un objet duchampien. Tout d'abord, ce n'est pas un livre, mais une boîte. Ensuite, la plupart des photos qu'elle contient s'apparentent à des ready-made. En 2010, Raphaël Dallaporta partait en Afghanistan avec une équipe d'archéologues. Équipé d'un drone doté d'un appareil photo numérique, son objectif était de les aider à explorer un site occupé vers 500 avant Jésus-Christ. Ils ont ainsi mis à jour le tracé d'un aqueduc. Cela a souvent été noté, il y a dans tous les travaux du photographe –de l'esclavage domestique à l'intérieur du corps humain en passant par les mines antipersonnel– un désir de montrer ce qui est caché. C'est encore ici le cas, puisque seule la vue aérienne prise par le drone a permis de révéler les vestiges. Une autre caractéristique de son travail a été moins remarquée : la volonté d'être utile. Elle apparaît ici de manière évidente et éclaire rétrospectivement l'œuvre passé. Du soutien apporté à une association de lutte contre l'esclavage à l'affirmation de la fragilité humaine le fil est constant. Ce n'est jamais littéral, ce n'est jamais un humanisme béat. Le filtre de l'art, du dispositif, écarte l'écueil du mièvre. Le dispositif, justement, est ici doublement intéressant. Il s'agit de représenter un objet archaïque avec les moyens les plus modernes : drone et appareil numérique. Par ailleurs, les photos ont été prises automatiquement par le drone toutes les X secondes. Raphaël Dallaporta a ensuite choisi de laisser le logiciel de son ordinateur les assembler sans rien retoucher. Ce qui explique les formes géométriques aléatoires des images et leurs bords frangés. D'où la notion de ready-made.
Ruins marque également une évolution dans le travail de Dallaporta. Jusqu'à présent, il relevait du constat, de la typologie. Il adopte ici la narration. L'objet ne se contente pas de présenter les photos prises par le drone, mais se veut le récit de l'aventure vécue. Emporté par le vent, le drone a été perdu. Un avis de recherche, placardé dans les villages de la région, a été rédigé. Il est reproduit en fac-similé dans la boîte. Le photographe, désœuvré, a documenté la recherche de son outil de travail. Une planche contact en témoigne. Trois feuilles de texte complètent le récit. Chronologie de l'Afghanistan, de la préhistoire à 2010, explications sur le site archéologique représenté, ou liste du matériel emporté sont autant de points de vue.

Conçu, comme les ouvrages précédents de Raphaël Dallaporta, avec la complicité des graphistes Kummer & Herrman, Ruins est un objet singulier. Il faut déplier la boîte de carton Kraft pour atteindre son contenu. Les photos prises par le drone se présentent, elles, pliées comme des cartes routières. Ce qui pourrait, dans un autre contexte, n'être qu'un geste gratuit, une coquetterie, trouve ici tout son sens : les photos sont une cartographie d'un territoire. Et, sans même convoquer Gilles Deleuze, l'on conçoit que déployer une représentation du réel demande un effort.
Raphaël Dallaporta, Ruins, GwinZegal, une boîte contenant 4 posters 100x68cm, 4 posters 50x35cm, 1 planche contact, 1 avis de recherche. Édition limitée à 500 exemplaires. Conception graphique : Kummer & Herrman.
Allez voir ailleurs !
Le site de Raphaël Dallaporta, celui de GwinZegal.
Conversation avec Raphaël Dallaporta. Une autre avec Kummer & Herrman et SYB.