Trois livres de photo viennent d'obtenir des prix recherchés. Guillaume Lemarchal pour Paysages de l'après et Aurore Valade pour Grand Miroir sont les lauréats 2008 du prix de la Fondation HSBC pour la photographie. Ce prix est sanctionné par la coédition par la fondation et Actes Sud d'une monographie. Michael Abrams avec Strange & Singular a lui obtenu le prix du livre d'auteur aux Rencontres de la photo d'Arles en juillet dernier. Ces travaux sont très différents les uns des autres, mais chacun représente un topos ou pour le dire plus aimablement une "tendance lourde" de la photographie contemporaine. Petit tour d'horizon.
La mise en scène, une longue tradition
Aurore Valade pour reprendre les mots de l'éditeur "photographie des personnes qui interprètent leur propre rôle, dans leur intérieur. Dans ces mises en scène très élaborées affleurent souvent les clichés (sic) […]".La mise en scène voici donc la première tendance lourde. Sans remonter au XIXe siècle et à la Castiglione, la mise en scène constitue un pan majeur des pratiques contemporaines : Jeff Wall bien sûr, qui creuse son sillon sublime depuis 1978. Cindy Sherman, depuis les années 70 également, se met en scène. On pense aussi aux saynètes comiques de Christian Boltanski (années 70 toujours). Plus près de nous Gregory Crewdson et ses réalisations très hollywoodiennes. Dans des esthétiques très différentes, on pourrait encore évoquer Bernard Faucon, Ouka Lele ou Pierre et Gilles et tant d'autres encore. Alors quid d'Aurore Valade, dernier rejeton auto-proclamé de cette longue lignée ? Et bien, si le côté factice (éclairage au flash très marqué, poses un peu outrées des personnages…) des scènes représentées s'impose rapidement on voit mal où se situe la fiction (notion à laquelle renvoie immanquablement celle de mise en scène ). En fait ses images évoquent plutôt le portrait posé ou construit, genre tout aussi établi de l'Histoire de l'art, mais bien moins tendance que la mise en scène. Elle semble transposer dans la représentation des classes populaires ou moyennes un type d'images souvent utilisé pour représenter les puissants ou les classes dirigeantes (on pense ici à Daniela Rossell et à son fameux Ricas y Famosas consacré à de riches héritières.
La photo documentaire, un deuxième topos de l'imagerie contemporaine
Guillaume Lemarchal est le second récipiendaire du prix HSBC. Son approche pourrait apparaître à l'opposé de celle d'Aurore Valade si ce n'est que l'humain ou du moins son empreinte sur le paysage est là encore au cœur de ses représentations. Suivons encore une fois les propos de l'éditeur qui sont parfois le meilleur guide vers "l'inconscient" des images. Il "a parcouru la côte Atlantique, l'Allemagne du Nord et l'Estonie à la recherche de leur histoire, de le leurs blessures. […] Ses photographies froides et silencieuses, d'une totale majesté, parlent des marques qui visualisent le temps, c'est-à-dire de la forme que le temps confère aux ruines causées par l'homme, une tentative d'exhumer l'âme des lieux." Passons sur le fait que des photographies silencieuses parlent de ceci ou de cela. Objectivement les belles photos de Lemarchal, froides (d'autant plus que la plupart sont enneigées) et frontales sont d'essence documentaire. Tradition noble et aussi vieille que la photographie (de la mission héliographique en 1851 à celle de la Datar en 1983, en passant par Atget, Walker Evans, les New Topographist, les Becher et toute l'école allemande que ces derniers ont contribuée a former). Cette démarche est généralement faite de frontalité face aux paysages, de froideur et du refus des effets facile. Dès lors, pourquoi enfermer les images de Lemarchal dans un discours romantique sur la poétique de la ruine et du temps qui passe ?
Les Snapshots (instantanés), au cœur du débat contemporain
Michael Abrams a reçu le Prix du Livre d'auteur aux Rencontres d'Arles 2008. Saluons d'emblée l'ouverture d'esprit du jury qui a conçu que l'auteur d'un livre de photo n'était pas forcément l'auteur des photos ! On se gausse, mais il semble que l'acquis de 40 ans d'art conceptuel ait imprégné jusqu'au milieu de la photographie et l’on s'en réjouit. Donc, Michael Abrams a conçu un recueil de snapshots ou, en bon français d'instantanés, de photos de famille. Je ne sais si les images proviennent de ses propres archives familiales ou s’il les a trouvées sur quelques marchés aux puces, mais peu importe. Les images sont entrelardées de citations (Michel Foucault, Nan Godin, Robert Frank, Richard Prince, etc.) à la gloire des snapshots. Nous sommes ici au cœur d'un débat absolument contemporain sur l'intégration dans le champ de l'art d'images qui n'ont pas le moins du monde été conçues dans une perspective artistique(1). Du Floh de Tacita Dean au trop méconnu Casa Susanna (2) édité par Michel Hurst et Robert Swope en passant par les Photos trouvées de Michel Frizot cette production occupe désormais tout un pan de l'édition photo. Le sens que l'on peut donner à ces démarches d'appropriation d'images a priori exclues du champ artistique est aussi vaste que l'éventail des postures esthétiques et idéologiques. On peut aller du plus réactionnaire: "voyez les artistes officiels n'ont pas le monopole du Beau", au plus romantique (l'artiste démiurge) en passant par le conceptuel et l'ethnographique. L'ouvrage de Michael Abrams (publié sous l'égide de John Gossage chez Loosestrife) a le mérite d'interroger cette nouvelle passion contemporaine pour la photo vernaculaire. Malgré quelques tics de maquette (photos coupées à la rogne sur la page de droite se poursuivant sur la page de gauche de la double suivante) le livre est plutôt agréable et suprême chic, chaque exemplaire inclut trois véritables snapshots anciens glissés entre les pages.
De l'intérêt des prix et de leur rôle dans la validation de tendances bien établies…
(1) Voir à ce propos le très fouillé dossier du numéro 22 d'Études photographiques qui s'il interroge l'intégration muséale des snapshots ne se penche malheureusement pas sur leur réutilisation par des artistes. On salue au passage André Gunthert qui après avoir animé la revue pendant douze ans passe le relais. On pourra toujours retrouver ses analyses percutantes de la fabrique de l'image sur son blog .
(2) Cet album regroupe les photos d'un groupe de travestis dans une banlieue américaine très Desperate Housewife, dans les années 1960.
Aurore Valade, Grand Miroir, coed. Actes Sud / Fondation HSBC pour la photographie, 100 pages.
Guillaume Lemarchal, Paysages de l’après, coed. Actes Sud / Fondation HSBC pour la photographie, 100 pages.
Michael Abrams, Strange & Singular, Loosestrife, 144 pages
Allez voir ailleurs !
Présentation des lauréats sur le site de la fondation HSBC .
Slideshow de Michael Abrams sur le site de Loosestrife .
Un article du New York Times sur la Casa Susanna .