Pinetamare est une station balnéaire italienne à une trentaine de kilomètres de Naples. Elle s'est dével

oppée à partir des années 1960. Comme bon nombre de lieux comparables en France, sur la côte languedocienne notamment, Pinetamare "bénéficie" d'une architecture moderniste de type grands ensembles, directement issue de la Charte d'Athènes. Bref, on a mis les villes à la campagne. Ou à la plage. Pourtant, dans une forme d'entropie toute méditerranéenne, le beau projet planificateur s'est peu à peu disloqué. Des constructions illégales ont surgi. La base de l'OTAN voisine qui soutenait l'économie locale a été restructurée. Les migrants venus d'Europe de l'Est ou d'Afrique ont afflué, employés pour une bouchée de pain dans les exploitations agricoles de la région. Les mafias, locales ou même nigérianes, ont tissé leurs réseaux. Trafics de drogues et meurtres se sont multipliés. Les décharges d'ordures clandestines ont pollué les sols. Les aménagements se sont dégradés.
C'est cette histoire et cette réalité contemporaine que Salvatore Santoro conte dans Saluti da Pinetamare. Pourtant, ces faits ne sont qu'un argument. Enfant, le photographe a grandi dans la région. Le livre est donc construit sur une double trame : d'une part, des photos de la réalité contemporaine, de l'autre, des documents anciens et des photos de famille imprimés sur des pages de format plus petit. Si le jeu sur les formats de page est très à la mode, il est ici parfaitement justifié par la différence de statut des images. Les photos actuelles dépassent le constat de déréliction pour révéler la façon qu'ont les habitants de s'accommoder de cet environnement. Des Italiens, que l'on imagine modestes, vont à la plage ou dînent au restaurant, quand des ragazzi, clope au bec, posent crânement devant une voiture. Des migrants dorment sur des matelas en pleine rue, tandis que d'autres, visiblement plus installés, organisent un concert avec synthétiseur, batterie et percussions.

Les images anciennes renvoient, elles, à l'utopie moderniste de la société des loisirs qui présida à la réalisation de tels lieux et à la mémoire privée, aux souvenirs de l'enfance. Si la colère n'en est pas absente, Saluti da Pinatamare n'est clairement pas un projet journalistique visant à dénoncer quelque réalité déplorable, mais une méditation personnelle sur ce qui fut et sur ce qui advint ensuite. Par sa structure, ce livre est emblématique de pratiques photographiques contemporaines. Il ne s'agit plus de se choisir un style : documentaire, journalistique ou autobiographique par exemple. Ces formes ne sont plus désormais que des outils au service de projets narratifs que les auteurs emploient en fonction de leurs besoins. Apparaît ici, comme dans nombre de livres récents, l'acceptation de l'aspect documentaire (aussi problématique soit ce terme) de la photographie. Sans plus avoir à le cacher sous un supposé "style documentaire" qui permettrait un accès au domaine de l'art. Et, tout à la fois, la conscience aiguë que toute construction photographique est une fiction.
Salvatore Santoro, Saluti da Pinatamare, auto-édité, broché sous jaquette, 184 pages.
Allez voir ailleurs !
Le site de Salvatore Santoro.
Une interview de Salvatore Santoro.