
Adam Broomberg et Oliver Chanarin travaillent en duo depuis une vingtaine d’années. Au fil des séries, ils ont bâti l’une des œuvres les plus denses et les plus solidement étayées conceptuellement parmi les artistes de leur génération. Leurs sujets principaux sont le médium photographique lui-même et le pouvoir sous toutes ses incarnations. Ils viennent de recevoir le Deutsche Börse Prize pour War Primer 2 quand Holy Bible est nominé pour le prix du livre Paris Photo-Aperture Foundation. Rencontre dans leur studio de l’East End de Londres.
Ni l’un ni l’autre n’avez fait une école de photographie ou d’art. Toi, Adam tu as étudié la sociologie et l’histoire de l’art, et toi, Oliver, la philosophie et l’intelligence artificielle. J’aimerais savoir ce qui vous a conduits à la photographie ?
Adam Broomberg : Enfant, j’allais dans une école juive. À 12 ans, j’ai reçu un appareil photo en cadeau d’anniversaire. Pour tenter de gagner un peu d’argent, j’ai conçu des petites cartes indiquant que je photographiais les Bar Mitzvah. Mais personne ne m’a engagé ! [rires] C’était ma première expérience photographique. En outre, mon frère passait beaucoup de temps dans la chambre noire. Vivre en Afrique du Sud a joué également. La photographie y était très politique grâce des mouvements comme le Bang-Bang Club. La censure y était puissante. La photographie a toujours été importante dans ce pays. Elle n’a jamais pu y être prise à la légère.
Oliver Chanarin : J’ai été inspiré par mon père, je pense : alors que j’étais adolescent, il a transformé ma chambre en labo ! Il a monté un mur au milieu de la pièce. D’un côté, il a laissé mon lit et de l’autre, il a fait une chambre noire. Il m’a appris à tirer et il m’a insufflé son goût de la photographie. Mais c’est lorsque j’ai commencé à travailler avec Adam à Colors Magazine que je me suis intéressé à la photographie couleur. Que j'ai découvert le monde de la photographie de presse, documentaire, de mode. Après quelques années de travail à Colors, je ressentais la nécessité impérieuse de produire mes propres photos. Et c’est là qu’Adam et moi avons commencé à photographier ensemble.
Dès votre premier livre, Trust (2000), composé de portraits de personnes dans des états proches de l’hypnose, vous interrogez le médium photographique, la notion de portrait, la possibilité de dépasser les apparences, la relation photographe/photographié. Dès le départ ce médium vous apparaissait-il problématique ?
AB : Oui. Trust est intéressant. Même si nous n’en avions pas pleinement conscience, le sujet en est la confiance et le pouvoir du photographe sur son sujet. Trust traite de la perte de conscience du sujet englué dans une esthétique générale sur laquelle il n’a aucun pouvoir. Nous avons en quelque sorte bouclé la boucle. C’est vraiment toujours notre préoccupation de comprendre comment la photographie, spécialement le portrait, est liée au pouvoir, de mesurer à quel point la personne derrière l’appareil est en situation de pouvoir. Tu le sais, la photographie, dès ses origines, a été pensée pour participer d’un travail de police, de catalogage, d’archivage et de contrôle. Alphonse Bertillon et ce qui s’en suit. Même si notre conscience n’était que partielle, nous étions déjà préoccupés par le médium. À certains moments, nous avons reculé avant de redémarrer. Nous étions emplis de doutes, puis nous avons retrouvé quelque confiance avant que nos doutes ne reviennent.
OC : Dire que nous avons accompli ce mouvement de bascule est très juste. Nous l’avons vécu, je crois, car nous nourrissions un réel scepticisme à propos du médium photographique. Mais en même temps il nous séduisait terriblement. Nous le voyions comme une activité assez magique. Et prendre des photos nous semblait assez mystérieux…
AB : Et nécessaire aussi. Car, tu sais, les événements nécessitent un témoin. La photographie peut être ce témoin. Il y a donc aussi une urgence politique du médium.
Cet entretien a été repris dans mon livreConversations où vous le trouverez dans son intégralité.
French and English version available.