
Depuis Härbärge en 1997, JH Engström a publié huit livres. Il y développe une œuvre photographique singulière et forte dans sa forme comme dans son fond. Il évoque ici la vie comme matière première de la création, la proximité ou la distance comme question photographique essentielle. Il parle encore de son intérêt pour l'échec comme phénomène profondément humain et revient sur l'importance du livre en tant que mise en forme de ses intentions photographiques. Rencontre à une terrasse de café à deux pas d'Offprint Paris. Tandis que nous parlons passent des têtes connues : Anders Petersen qui s'arrête un instant bavarder ou Clément de la librairie Plac'art Photo, les bras chargés d'exemplaires de La Résidence.
Ton premier livre Härbärge (1997) est le plus formel même si on y trouve déjà l’énergie caractéristique de tes photos. Ce sont essentiellement des portraits en polaroid noir et blanc de femmes, réalisés dans un centre d’accueil, n’est-ce pas ?
Oui, c’est un lieu pour les sans-abri.
Que cherchais-tu à l’époque avec ce travail ?
Ça a été tout un processus de réaliser ce livre. Au départ, je croyais que je voulais faire un truc plus classique, dans le style documentaire. Mais, au fur et à mesure que j’avançais dans ce travail, je me disais que je ne pouvais pas continuer ainsi avec du 135, de la Tri-X. Je me rendais compte que toutes les photos que je faisais étaient des photos que j’avais déjà vues auparavant. C’étaient des photos qui ressemblaient plus à des photos qu’à autre chose ! [rires] Ça m’a pris un moment pour comprendre ce que je voulais vraiment faire. C’est là que j’ai appris l’importance du temps comme outil pour créer. Il est tellement complexe de comprendre ce qu’on veut exprimer, de tenter de s’en rapprocher, même si on n’y parvient jamais complètement. Ça prend du temps et je l’ai appris dans ce lieu. Au début, je savais uniquement que je voulais affirmer un point de vue sur ce sujet assez nouveau en Suède : les sans-abri. Maintenant, c’est devenu assez courant. Mais, nous avons, ou en tous cas nous avions, une protection sociale très forte. Et lorsque j’ai fait ce livre, cela commençait à changer. Et ça m’a fâché. C’était peut-être un peu naïf, mais c’était une réaction, une indignation. L’autre raison de faire ces images était une curiosité complètement égoïste. La situation où se trouvaient ces femmes était assez élémentaire, existentielle. Cela me posait de nombreuses questions : qu’est-ce qu’une maison ? Que signifie se sentir chez soi ? Beaucoup de questions de cet ordre. Mais ce que je voulais par-dessus tout, c’était exprimer la forte présence de l’autre. Comment dit-on cela en français ? En anglais on dit « you have to relate »
Oui, se mettre en relation avec…
Oui. Tous les jours de ta vie tu dois te mettre en relation avec les gens autour de toi. Avec le paysage dans lequel tu vis également. Mais principalement avec les gens. Ça c’est fort. Et là, dans cet asile, c’était encore plus fort parce que la situation était très nue, très basique. […]
Cet entretien a été repris dans mon livre Conversations où vous le trouverez dans son intégralité.
French and English version available.
Portrait JH Engström, © Rikkard Häggbom