
Les photographies de Lise Sarfati, si elles sont d'une séduction immédiate, ne se laissent pas aisément appréhender. Entre réel des situations et fiction de la série, elles représentent des moments intermédiaires et plongent le spectateur dans l'expectative et la contemplation. L'auteur est tout aussi intrigant. Très affable, on la sent d'une grande détermination. Lise Sarfati évoque ici sa relation à ses modèles. Ses "personnages" dit-elle souvent. Elle revient encore sur l'évolution de son travail depuis ses années russes jusqu'à sa période américaine actuelle. Rencontre dans son atelier parisien où elle fait escale avant de repartir en Californie.
Pour évoquer votre travail, j’aimerais prendre vos livres comme fil conducteur. Il me semble que chacun d’eux est comme un chapitre, un rapport d’étape. Le ressentez-vous également ?
Oui… Mais mon travail n’est pas seulement cadencé par les livres. J’aimerais qu’il le soit, mais il y a un décalage entre les séries que j’entreprends et la publication de livres.
Vous avez souvent souligné l’importance de la série dans votre travail. Comment voyez-vous vos livres : des supports pour ces séries ? Des œuvres en soi ?
Je pense le livre comme un objet en soi. Je n’aime pas trop qu’un livre regroupe plusieurs séries : j’ai alors le sentiment que la compréhension du travail se perd. Je travaille uniquement pour faire des expositions et des livres, mais ils n’en sont pas les catalogues. Ils sont des entités indépendantes.
J’ai la sensation que votre travail est une lente mutation depuis une photographie documentaire, aussi imprécis que soit ce terme, jusqu’à une photographie scénographiée. Bref, que votre représentation du monde est passée d’une volonté d’objectivité au choix assumé de la subjectivité. Vos préoccupations ont-elles changé ? Les formes anciennes n’étaient-elles plus pertinentes ?
J’ai commencé à travailler sur une base de photographie documentaire. Je parlais russe couramment et je suis partie en Russie à une époque de transformation totale du paysage politique du pays. Mais, je vivais la photographie comme une expérience me permettant de traverser différents champs. Même à cette époque, ma photographie n’était pas vraiment liée à la situation sociale. Je ne travaillais pas pour des journaux, je n’étais pas correspondante en Russie. Je poursuivais une recherche personnelle, certes documentaire, mais qui ne passait pas par les codes classiques. Je travaillais pour moi-même, durant quatre ou cinq mois, sur certains thèmes qui m’intéressaient. Cela a débuté ainsi. Mais au bout d’un moment, je me suis un peu ennuyée. Comme mon approche était relativement minimaliste, j’avais la sensation que les situations se reproduisaient éternellement. Cette approche du monde extérieur ne me semblait plus possible… […]
Cet entretien a été repris dans mon livreConversations où vous le trouverez dans son intégralité.
French and English version available.
Photo © Lise Sarfati from her series "She"