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Une conversation avec Philippe Nolde


Philippe Nolde est passé par l’école du Louvre, la galerie Durand-Dessert ou la Maison Européenne de la Photographie. Il a encore tenu une galerie de photo et contribué à l’exposition La Beauté à Avignon en 2000. Aujourd’hui, il fait commerce du Design. Depuis 25 ans, il a construit une collection de livres d’artistes et de livres de photographie absolument magistrale. Il a choisi de s’en séparer lors d’une vente organisée à Bruxelles par Pierre Bergé & Associés, le 25 octobre 2011. À cette occasion, rencontre avec un fin connaisseur des enjeux esthétiques et historiques du livre d’images.

Quand avez-vous commencé à collectionner les livres ?

Alors que j’étais à l’école du Louvre, où je faisais une spécialisation en art contemporain, j’ai vu une exposition de Bernd et Hilla Becher intitulée Chevalement au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Je devais avoir 25 ans. À cet âge-là, j’étais attiré par le monde industriel, les squats, ce genre de choses. Je ne connaissais pas les Becher et j’ai été complètement séduit. Je suis reparti avec le catalogue. De mémoire, c’était en 1986. Et ce catalogue se composait d'une suite de planches de chevalements de mines. À l’époque, j’écoutais de la musique répétitive et les artistes qui m’intéressaient comme Buren, travaillaient la répétition. Et là, je me retrouvais face à une œuvre photographique, que je ne maîtrisais pas du tout, qui elle aussi était dans la répétition. Le motif était toujours le même et pourtant différent d’une page à l’autre du livre. J’ai commencé à me renseigner sur les Becher. Et, étant entré dans un champ photographique, j’ai commencé à remonter le fil de l’histoire. J’ai découvert l’œuvre de Sander, l’œuvre de Karl Blossfeldt, l’œuvre de Renger-Patzsch qui sont un peu les pères fondateurs de cette école allemande.


Une chose que je trouve intéressante dans votre collection est qu’elle se situe à la frontière de l’art contemporain et de la photographie. Généralement les gens de l’art contemporain méprisent la photographie et ceux de la photo ne comprennent pas l’art contemporain. Bref, le plus souvent ils ne se parlent pas. Comment articulez-vous les deux domaines ?

Par ma formation et par mes fonctions professionnelles, je viens plutôt de l’art contemporain. Donc évidemment, j’ai appris l’histoire de l’Art, celle de l’art du XXe siècle, et encore tous les codes de la peinture qui ont été bouleversés à partir des années 1920. J’ai été très marqué par le collage de Richard Hamilton de 1956 qui s’intitule « Just What Is it That Makes Today’s Homes So Different, So Appealing ? » Cette œuvre a été présentée dans une exposition, This is Tomorrow organisée par Lawrence Alloway. Ce collage représente pour moi l’apport de l’image photographique, de la page imprimée, de la presse illustrée à l’art contemporain. C’est là qu’apparaît pour la première fois le mot « Pop » dans l’art. Il faut se resituer dans les années 1950. il y avait peu de télévision, pas autant de publicités qu’aujourd’hui. C’est un monde que les images vont bientôt envahir. Et pour revenir au livre, de plus en plus de photographes vont en réaliser. Et les artistes eux aussi, comme, disons Ruscha, vont faire des livres avec la photographie. Pour Twentysix Gasoline Stations en 1963, il va donc photographier des stations services mais il choisit de les montrer dans un livre. Il va tirer ce premier livre à 400 exemplaires. Comme il va bien se vendre, Ruscha va en faire une deuxième édition dans la foulée. Donc la photographie commence à entrer dans le domaine de l’art contemporain. À cette même époque, Robert Frank ou William Klein vont faire des livres. Il n'y a alors pas de galeries, ou très peu, qui exposent de la photographie. La seule manière de vivre de la photographie consiste à faire de la publicité ou de l’illustration. Les photographes commencent donc à montrer leur travail personnel par le livre. Le New York de Klein va paraître en 1956, Les Américains de Robert Frank en 1958. Ce sont évidemment deux livres fondateurs. Une nouvelle donne dans la manière de montrer le travail personnel des photographes. Comme Twentysix Gasoline Stations est une nouvelle donne dans le rapport de l’art contemporain et de l’image photographique. À partir de là, la technique photographique devient une base de circulation d’idées.


Avec ce background art contemporain, vos goûts se portent sur une photographie très intellectualisée : les Becher, Jean-Louis Garnell…

À partir du moment où des auteurs commencent à réfléchir à un projet photographique, il est évident qu’ils s’éloignent de l’illustration. On demande au photographe d’illustrer un article de journal ou un vêtement. Un artiste, que ce soit un photographe comme Robert Frank, ou quelqu’un comme Ruscha, va réfléchir à l’autonomie de la photographie par rapport à la presse illustrée. Ce que beaucoup de photographes appellent un travail personnel peut être, en fait, un travail d’artiste.


Les Becher, leur démarche est peut-être intellectualisée, mais elle devient une évidence lorsque l'on connaît l’histoire allemande. Ils ont appliqué un système photographique à des sujets comme les mines, tout ce monde ouvrier qu’ils dépouillent de toute anecdote. Ils créent une mémoire de l’industrie et en même temps, ils appliquent un système de répétition. Évidemment, c’est une manière conceptuelle : ils conçoivent le principe de l’image avant de la réaliser. Ce n’est pas capté sur le vif, à l’inverse de Cartier-Bresson, par exemple. À l’inverse même, de la nostalgie de Robert Frank ou de l’agressivité de William Klein. Il ne faut pas croire qu’il n’y a qu'une seule façon de faire de la photographie. Moi, ça ne me paraît pas intellectualisé. Mais je comprends que ça échappe à certains, car voir de la sérialité ou de la typologie peut être dérangeant. Mais évidemment l'histoire est une clef. Si l’on en revient à Sander, on ne peut que constater qu’il avait une vision encyclopédique de l’Allemagne. Vision que l’on va retrouver chez les Becher.


Quand vous voyez une de leurs fresques, j’emploie ce mot intentionnellement, vous ne savez pas à quelle date les vues ont été prises. Par exemple, un chevalement en haut à gauche, sur un panneau de 12 peut dater de 1967, et, celui en bas à droite, de 1982. À partir du moment où un système est appliqué disparaît l’idée de chronologie, l’idée d’évolution stylistique dans le travail. Je pense que c’est fondamental dans l’art. Mais, encore une fois, ça ne veut pas dire que c’est plus intellectuel que Robert Frank. Lui va avoir une autre façon de travailler. Il va travailler sur sa propre image d’artiste. Presque sur du narcissisme artistique. Sa vie est terrible, il a perdu sa fille, tous ces drames que l'on connaît. Il va l’exprimer par l’image photographique. Une démarche n’exclut pas l’autre. Elles peuvent se côtoyer et montrer la grande variété de l’apport de l’image photographique.


Faites-vous une différence entre livre d’artiste et livre de photographie ?

Il est difficile de faire une différence. Je peux reprendre l’exemple de Klein ou de Frank. Leurs livres sont considérés comme des livres de photographie parce qu’ils sont photographes. Mais pour moi, ce sont d’immenses artistes. Même s’ils ont fait de la mode, de l’illustration. Pour moi, un livre d’artiste est un livre qui est conçu par celui qui est l’auteur du livre. William Klein qui est aussi graphiste va concevoir lui-même tous ses livres. Pourquoi ne pas dire que ce sont des livres d’artiste ? Ruscha va aussi concevoir ses livres lui-même. Photographe ou artiste, je ne fais pas de différence. À partir du moment où ils se détachent du métier illustratif, de la presse, de la commande, ils sont pour moi à égalité. Après c’est une question de terminologie. Je peux dire que le New York de Klein est un grand livre d’artiste comme je peux dire que le livre de Ruscha est un grand livre de photographie. [rires]

Le catalogue de la vente est en lui-même très beau, très personnel. On a envie de le conserver comme un ouvrage de référence. Il est organisé par thématiques. Par exemple, « Cinéma, télévision, vidéo » ou « La beauté de l’industrie ». Quel est le but ?

Je suis un amateur de livres depuis plus de 25 ans. Dans l’histoire de l’art, vous trouvez de grandes thématiques, la nature morte, le portrait… Prenons une exposition de portraits. Vous pouvez y faire des rapprochements stylistiques, et temporels. Des portraits de Picasso peuvent dialoguer avec ceux du Greco par exemple. Personne ne sera choqué. Pourquoi ne pas le faire avec l’image photographique ? Boltanski conçoit Monuments en 1986 avec ces visages imprimés sur du papier bible. Pourquoi ne pas les mettre à côté des portraits d’un Richard Avedon ? Ce sont deux approches de l’individu, vues par deux artistes. C’est ainsi que j’ai construit le catalogue.


Autre exemple, le cinéma, la télévision influencent les artistes puisqu’ils regardent des films et des émissions comme moi ou un autre. Donc cela peut avoir une empreinte sur une œuvre. Prenez Cindy Sherman. Untitled Film Stills, le titre parle de lui-même. Elle crée une fiction, elle se met en scène, mais l’influence des séries B est là. Ça signifie que l’apport de l’image, par les médias, par le cinéma influence les artistes. Prenez encore les premiers travaux de Gregory Crewdson. Impossible d’imaginer qu’il n’a pas regardé Rencontres du troisième type de Spielberg. Il s’agit encore et toujours de construction d’image photographique. Je n’ai pas mis le livre de Loretta Lux dans la vente, mais aujourd’hui on peut imaginer que Photoshop est un sujet pour les artistes. De plus en plus, on s’approprie des images pour en créer d’autres…


…Donc vos thèmes correspondent à votre vision de ces différents champs d’expression et correspondent à la manière dont l’image fonctionne dans le monde moderne.

Voilà, je pense que c’est cela. La peinture, pour moi, appartient au passé. Si vous allez chez des gens de trente ou quarante ans, qui s’intéressent un peu à l’art, vous allez voir au mur plutôt de la photographie que de la peinture. Ça signifie que la peinture est un peu désuète et renvoie à du passé parce que, consciemment ou non, nous sommes dans un monde d’images photographiques. Donc, construire ces thématiques m’a permis par exemple, à côté des Becher, de montrer la fascination de Gilbert Fastenaekens pour ce monde industriel même s’il a un point de vue beaucoup plus romantique. On peut prendre d’autres exemples comme la bande à Baader qui inspire Feldmann comme Gerhard Richter. Évidemment si je prends appui sur l’histoire, je me réfère au Guernica de Picasso. Les Allemands bombardent ce village. Picasso réagit immédiatement et réalise l’un des chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art. Cela m’intéresse de savoir qu’un artiste peut réagir face à ce monde contemporain. Prenons l’Irlande du Nord. Un artiste, Paul Graham, a traité de cette problématique-là. Son approche va être complètement différente de celle d’un reporter. Il va montrer des sortes de pièces à conviction inscrites dans un paysage. Moi, en tant que spectateur, cela m’apprend qu’on peut regarder différemment : par exemple, les couleurs des nationalistes peintes sur la route font que le paysage devient le théâtre d’affrontements sous-jacents. C’est une autre manière d’aborder l’événement. Tout aussi intéressante que celle du reporter. Le champ de notre interprétation s’en trouve ouvert. Encore une fois, je ne pense pas qu’on puisse parler d’une photographie intellectuelle. Il s’agit seulement de montrer comment il est possible de regarder le monde autrement. Je vais encore prendre un exemple assez précis. Je suis fasciné par les Becher. Aujourd’hui, quand je vois un château d’eau, je pense aux Becher. Quand vous voyez la montagne Sainte-Victoire, vous pensez à Cézanne, n’est-ce pas ?

Oui.

Donc, c’est cette empreinte des artistes sur le paysage qui est assez fascinante. L’artiste regarde son environnement et nous, en tant que spectateurs de son œuvre, apprenons à regarder le monde autrement.


Dans l’introduction du catalogue, vous parlez de l’importance qu’ont eu pour vous Jean-François Chevrier, Peter Galassi ou Michel Frizot…

Oui, je cite ces trois-là parce qu’ils sont assez fondamentaux dans mon expérience personnelle. J’ai vu une exposition de Chevrier à Paris, en 1989, qui s’intitulait Une Autre Objectivité. Il y avait là des images de Thomas Struth que je ne connaissais pas du tout. J’ai vu une telle précision photographique que je me suis dit « mais comment est-ce possible ? » J’achète évidemment le catalogue. Chevrier venait de monter Matter of Facts à Nantes. J’achète le catalogue. Chevrier m’a appris, à la fin des années 1980 et au cours des années 1990 à regarder autrement la photographie. Le catalogue de Une Autre Objectivité présente un historique de l’apport de la photographie à l’art contemporain. Il parle déjà en 1989, des livres de Ruscha ou de Robert Adams. Il met les uns et les autres en parallèle.


Frizot, j’avais un catalogue intitulé Façons de Peindre qui est une sorte de pastiche de Point de Vue, Images du Monde cette revue de mondanité née dans les années 1950. C’est la version people de la presse illustrée qui naît à ce moment-là. L’équivalent des Voici et Gala pour l’époque. Frizot, qui connaît parfaitement le côté tentaculaire de la photographie, fait donc un pastiche de cette revue. Dans ce catalogue, il place Boltanski, les Becher, Gilbert & George, tous ces artistes qui se sont tournés vers l’image photographique. Grâce à ce catalogue, j’ai découvert un artiste que personne ne connaît plus aujourd’hui, Peter Roehr. Quelque temps plus tard, j’étais en Allemagne à la librairie Koenig de Francfort et je vois deux catalogues de Peter Roehr. Je les achète immédiatement. Roehr, décédé à 24 ans, est un artiste magnifique. Il est emblématique des années 1960, de la sérialité. Il faut voir ses œuvres. C’est un Warhol allemand avant Warhol.


C’est un des principes de ma vente que de faire découvrir des artistes. C’est le but des thématiques. Par exemple, tout le monde connaît le New York de William Klein. Mais, sachant que Beat Streuli a photographié New York, je vais l’associer à Klein. Et ainsi, peut-être que ceux qui connaissent Streuli vont découvrir Klein et réciproquement. Bien entendu les spécialistes de la photographie savent déjà cela. De la même manière, les deux catalogues de Peter Roehr, je les ai associés à Ed Ruscha. Lors de la vente, les acheteurs vont se précipiter sur Ruscha parce que c’est une valeur marchande. Et ainsi, celui qui va acheter ce Ruscha va découvrir le travail de Peter Roehr. Et j’espère aussi que les lecteurs du catalogue vont se dire « mais qui est ce Peter Roehr ? » Pour en revenir à Frizot, c’est quelqu’un qui sait penser et recontextualiser la photographie.


Galassi lui, prend ses fonctions au MoMA à New York en 1991 et il monte une exposition Pleasures and Terrors of Domestic Confort. On y voit des intérieurs, en couleur. C’est pratiquement de la photo de famille. Dans cette exposition on assiste à un basculement de l’extérieur, de l’espace public, photographié en noir et blanc, vers l’intérieur, vers l’intime traité en couleur. Pour schématiser, on passe de Friedlander, Winogrand ou Diane Arbus à Nan Goldin ou Tina Barney. Galassi perçoit cette tendance qui se met en place à la fin des années 1980. Je n’ai pas vu l’exposition, mais lorsque j’ai eu le catalogue entre les mains, j'ai lu le texte, et j'ai découvert des photos de diCorcia, de Larry Sultan, de Tina Barney et j'ai voulu savoir qui étaient ces gens-là. Donc, Galassi m’apprend des choses. Il a également écrit un texte merveilleux sur Cartier-Bresson. Là encore je n’ai pas vu l’exposition. C’est toute l’importance du livre –catalogue ou livre d’artiste– que de permettre la circulation des idées, de la pensée d’un artiste ou d’un critique. On apprend ainsi à mieux maîtriser le monde. Tout est là, dans les livres. Il suffit de les regarder, d’être curieux et de s’intéresser vraiment. J’apprends par les livres et c’est ainsi que j’ai construit cette vente : ce que moi j’ai appris, je tente de l’apprendre à d'autres. Je transmets le savoir que d’autres m’ont donné…

Donc vous concevez le livre comme une circulation du savoir…

Oui, de savoir et pour certains, une circulation d’œuvres. Certains artistes estiment que leurs livres sont des œuvres d’art au même titre qu’une estampe ou une vidéo. Le livre et la photographie permettent d’atteindre le plus grand nombre. Au XIXe siècle il y a des photographes qui signaient leurs épreuves comme Baldus, Le Gray, Lesecq ou Nègre. Mais, ils sortaient d’atelier de peintres ! C’est là, ou je rejoins l’exposition de Nurisdany comme une thématique de mon catalogue…


… Ils se disent peintres, ils se disent photographes en 1981 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris…

Oui. Mon catalogue est construit de façon plutôt historique dans sa première partie que je conclue avec la célèbre boîte Artists & Photographs, objet incontournable de l’histoire du livre et du multiple des 30 ou 40 dernières années. Mais juste avant, je reviens sur trois expositions qui se tiennent en l'espace de deux ou trois ans au début des années 1980 : Artists & Cameras en Angleterre, Ils se disent peintres, ils se disent photographes, ici à Paris et Façons de peindre de Frizot. J’ai voulu, autour de ces trois expositions, recontextualiser les livres des artistes. C’est-a-dire chercher ce qui était disponible comme livres à un moment donné. J’ai essayé de donner sens à ce catalogue de vente en remettant certains livres dans le contexte de leur époque de production.

Quels sont les libraires avec qui vous avez collaboré durant ces années ?

J’ai travaillé chez Michel et Liliane Durant-Dessert, et nous avions une librairie au sein de la galerie. C’était très important pour eux, car ils voulaient ainsi diffuser le travail des artistes. Il y a aussi, à Paris, Florence Loewy. À l’époque, elle avait déjà un magasin dans le XIVe arrondissement, je dirai presque un appartement où elle recevait sur rendez-vous parce que nous n’étions pas si nombreux à aller la voir. Moi j’y allais souvent. Et elle me conseillait. Je repartais souvent avec 2000 francs de livres et j’estimais que j’avais dépensé énormément d’argent [rires] mais elle m’a accompagnée dans cette collection et elle a bien sûr toujours sa librairie qui est maintenant à côté du musée Picasso. En 1994 s'est tenu un salon qui s’est appelé First ArtistBook International organisé par Rik Gadella qui, par la suite, a créé Paris Photo. Florence Loewy était là. J’achetai des livres depuis un moment déjà, mais j’ai pris conscience alors qu’il y avait des marchands spécialisés dans le livre d’artiste.


Quand j’allais à Londres, il y avait l’alter ego de Florence Loewy, Simon Cutts qui tenait une librairie à l’enseigne de WORKFORTHEEYETODO. Je lui achetais des livres de Fulton, de Richard Long, de Gilbert & George. Comme c’était des Anglais, c’était plus simple de les trouver là-bas. Il m’a également conduit aux premiers livres de Damien Hirst. J’avais donc ces deux librairies spécialisées. J’ai acheté des choses sur leurs conseils. Après, il y a plein de librairies d’occasion. À Londres, je me baladais par exemple sur Charing Cross Road. Chez Shipleys, ils avaient un rayon beaux-arts. De temps en temps, j’y trouvais un catalogue d’art contemporain. Le libraire était un ancien artiste. Je discutais avec lui et il me sortait de sa cave des caisses de livres d’artiste qui ne valaient rien et dont tout le monde se foutait. À chaque fois, je lui achetais quatre ou cinq livres. Jusqu’au jour où je suis arrivé et il m’a dit « il y a un marchand américain qui est venu il y a 15 jours, et il m’a tout pris. » [rires] Un jour, il m’a débusqué Cover to Cover de Michael Snow pour un prix dérisoire. On en avait parlé, et je lui avais dit « si tu le trouves, fais-moi signe ». À l’époque on n’avait pas Internet. J’habitais à Paris et je reçois une lettre. Je l’appelle immédiatement et il me l’expédie ! Il y avait des gens qui étaient sensibles à des recherches spécifiques. Aujourd’hui, les temps ont changé. Si je vais dans une librairie spécialisée –et il y en de plus en plus– je trouve facilement Cover to Cover. Je l’ai vu encore l’autre jour, ici à Paris. Aujourd’hui il est possible d’avoir accès à ces livres. Alors qu’il y a une quinzaine d’années, on ne les voyait pas.

Combien y a-t-il de livres au total dans la vente ?

Je ne sais pas exactement. Je n’ai pas encore compté. Je pense qu’on est entre de 1500 et 2000 livres. Mais, il n’y a pas que des livres, il y a des multiples, des photos…


Y a-t-il des livres que vous avez conservés ?

J’ai conservé les livres d’Irving Penn que j’ai eu la chance de rencontrer du fait de mes fonctions à la Maison Européenne de la Photographie. Pour moi, Irving Penn ce n’est pas un photographe de mode, c’est un immense artiste. J’ai 23 livres de lui et je n’ai pas voulu les vendre parce que j’ai eu un rapport très affectif avec lui. On avait des discussions à la fois sur les personnages qu’il a photographiés –Colette ou Picasso– mais aussi sur son œuvre. Car il a développé une vraie œuvre photographique. Les nus qu’il a réalisés dans les années 1940 et qu’on a découverts dans les années 1980 ne sont pas traditionnels. Il bouleverse notre regard sur le nu. Ses natures mortes également entrent évidemment dans une thématique traditionnelle de l’histoire de l’art. Et ce sont des merveilles. J’ai la chance d’avoir eu des discussions avec lui, de l’avoir visité dans son atelier à New York, d’avoir eu des déjeuners avec lui quand il venait à Paris, parce qu’avec Jean-Luc Monterosso nous avions des rapports privilégiés avec lui. C’est quelqu’un que je respecte énormément. C’est un peu le grand-père qu’on voudrait tous avoir. Il était d’une telle humanité. Donc c‘est très affectif et j’estime que c’est l’une des chances de ma vie de l’avoir rencontré. C’est pour ça que je veux garder ses livres. Dans la vente, bien entendu, il y a des artistes que je m’estime chanceux d’avoir rencontrés. Mais avec Penn le rapport est presque viscéral.


Et maintenant, allez-vous continuer à acheter des livres ?

Oui, oui. De toute façon le virus ne peut pas s’éradiquer. Je ne peux pas m’arrêter, c’est évident.



Artists & Photographs, Pierre Bergé & Associés, mardi 25 octobre 2011 à 15h, Grand Sablon 40, Bruxelles. Exposition : du vendredi 21 au lundi 24 octobre de 10h à 18h et mardi 25 de 10h à 12h. Le catalogue de la vente est disponible à l’adresse ci-dessus mais également à Paris, chez Pierre Bergé & Associés au 12, rue Drouot, 75009 Paris et, en ligne sur le site de la maison de vente.

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