
Après le Huis Marseille d'Amsterdam et avant le Musée de l'Élysée de Lausanne, la rétrospective de Valérie Belin fait escale à la Maison Européenne de la Photographie. Si l'accrochage est l'occasion de revoir ou de découvrir les sublimes tirages noir et blanc ainsi que quelques œuvres couleur plus récentes, on regrettera la modestie de l'exposition qui n'occupe qu'un étage de la MEP. Certaines séries sont réduites à la portion congrue : les "Palettes" et les "Michael Jackson" ne sont représentés que par une seule image. Le catalogue publié conjointement permet de se faire une idée plus complète de la démarche extrêmement rigoureuse de Valérie Belin. Ce qui frappe dès le premier abord est la profonde cohérence de l'œuvre. Dès les premières séries ("Cristal" 1993, "Robes" 1996, "Venise" 1997 ou "Viandes" 1998) le langage photographique de Valérie Belin est en place. Il s'appuie sur un protocole précis : frontalité de la prise de vue, absence d'éléments anecdotiques, noir et blanc profond. Se développe déjà une thématique que la photographe ne cessera de poursuivre : la surface. Surface photographique d'abord, manifestée par le choix du grand format. Surface réfléchissante des choses et des êtres ensuite : le choix pour ces premiers travaux des cristaux, des miroirs de Venise ou de robes de soirée déposées dans des cartons qui évoquent des cercueils l'indique assez.

Il faut attendre 1999 pour que Valérie Belin se confronte directement à l'être humain avec une première série de "Body-builders". A ce moment sa grammaire s'affine avec le choix systématique du fond blanc 1. Ce cadre fait immanquablement penser à Richard Avedon, mais contrairement au maître américain, elle ne cherche pas à cerner la personnalité de ses modèles. Que sont les culturistes de Valérie Belin ? Des êtres qui par la pratique du sport modifient leur apparence et accroissent la surface de leurs corps. Les séries suivantes confirment cette volonté d'interroger la transformation des apparences physiques. Les "Mariées Marocaines" sont parées comme des princesses des Mille et une nuits. Quant aux "Trans-sexuels", on voit les transformations physiques à l'œuvre.
La démarche de Valérie Belin se radicalise encore avec ses projets suivants. "Femmes noires" et "Modèles" (2001 pour les deux séries) présentent des jeunes femmes hiératiques cadrées comme des photos d'identité. Elles ne sont que pures surfaces dont l'identité se résume à d'infimes variations dues à la volonté (coiffures) ou à la génétique (formes des visages). Après une diversion significative avec les "Moteurs" de 2002, la photographe pousse à son bout la logique initiée avec ses séries précédentes. "Mannequins" (2003), sans doute le plus connu de ses travaux, représente des mannequins de vitrines. Le traitement est identique à celui des "Femmes noires" et des "Modèles". Le génie de cette série réside dans le fait qu'un regard rapide ne permet pas de décider s'il s'agit d'êtres humains ou d'artefact. Évidemment ce trouble rejaillit sur les séries précédentes et conforte la démonstration de Valérie Belin de l'impossibilité de la photographie à aller plus loin que l'apparence, que la surface des choses.

Parvenue au bout de sa logique, Valérie Belin fait un retour en arrière avec les sosies de Michael Jackson. On en revient aux transformations physiques des body-builders même si le choix de s'attacher à des modèles qui s'identifient à une idole, elle même complètement transformée est parfaitement logique. Les "Masques" de 2004 sont la dernière tentative en noir et blanc d'interroger l'identité humaine et un retour à l'objet qui sera poursuivit avec "Chips", "Palettes" et "Coffres-forts". Le questionnement sur les apparences et sur l'impossibilité de connaître l'intériorité est encore une fois au cœur de ces séries : qu'est-ce qui différencie une chip d'une autre, si ce n'est son emballage ? Comment savoir ce que contient un coffre-fort ?
En 2006, Valérie Belin abandonne le noir et blanc pour la couleur, mais conserve son protocole rigoureux. Elle renoue avec les "Modèles" puis s'attache aux "Métisses" qui rappellent évidemment les "Femmes noires". Le traitement de la couleur emprunte aux codes des magazines de mode : modèles lourdement maquillés et traitement photographique (tirage ou retouche) déréalisant. Le discours sur les apparences dépasse désormais l'individualité pour questionner la production et la réception de l'image photographique.
Valérie Belin, Steidl, 312 pages.
1 Pour certaines séries (Moteurs, Masques, Palettes…) elle inversera ce choix avec des fonds noirs.