
The Ruins of Detroit est un ouvrage aussi impressionnant que passionnant. Impressionnant par le talent de ses jeunes auteurs, respectivement 23 et 29 ans aujourd'hui. Ils affichent une maîtrise certaine de la photographie d'architecture et le sens de la construction d'une somme documentaire. Impressionnant aussi par ce que l'on voit dans leurs images : une ville occidentale mythique à l'abandon. The Ruins of Detroit est également passionnant par les questions qu'il soulève : la mort des civilisations, le cynisme du système capitaliste ou la résurgence de l'esthétique de la ruine dans l'art actuel. Originaires de la région parisienne, Yves Marchand et Romain Meffre ont commencé à photographier des ruines chacun de leur côté avant de se rencontrer en 2002. Au bout de quelque temps, ils ont décidé de faire appareil photo commun. Autrement dit, de devenir un duo artistique. Ils font leur premier voyage à Detroit en 2005. Ils y séjourneront à de multiples reprises cinq ans durant, photographiant à la chambre "les vestiges du rêve américain". Thomas J. Sugrue, professeur à l'université de Pennsylvanie, explique dans sa préface la chute de Detroit. Henry Ford y implante sa première usine en 1913 et dès les années 1920, Detroit est la capitale mondiale de l'automobile. À son apogée, au début des années 1950, la ville compte deux millions d'habitants. Il en reste 800 000 aujourd'hui. Dès la fin des années 1940, les constructeurs abandonnent leurs usines les plus anciennes, et, dans le but d'affaiblir les syndicats, automatisent et délocalisent, déjà, leur production. Plus tard viendront la concurrence allemande ou japonaise, la crise pétrolière… Dans le même temps, les tensions raciales sont persistantes entre blancs et noirs. Peu à peu les blancs quittent la ville pour ses banlieues. Des émeutes dans les années 1960 accentueront le mouvement. Ne reste à Detroit que les populations les plus pauvres.

Aujourd'hui un quart de la ville est en ruine. Marchand et Meffre montrent à quel point cet abandon touche tous les aspects de la vie sociale. Les usines automobiles au premier chef. Mais aussi la gare Centrale, colossale porte d'entrée de la ville. Ou encore le Downtown, le centre-ville historique, ou des quartiers de villas néo-victoriennes. Commerces, cabinets médicaux, bureaux, galeries marchandes se délabrent. Les photos les plus spectaculaires sont celles représentant des théâtres et des cinémas. Ces splendeurs art déco que l'on voudrait monuments historiques choyés, ne sont que des carcasses. Moins grandioses, mais tout aussi troublantes sont les vues d'écoles, de bibliothèques et même de postes de police abandonnés. Dans ces différents lieux, tout est resté sur place. Le mobilier, mais aussi les ustensiles du cours de chimie, les violoncelles de la classe de musique. Dans les bibliothèques les livres pourrissent sur les rayonnages et au poste, les uniformes pendent à un cintre tandis que les photos de criminels jonchent le sol. Partout on a la sensation qu'une catastrophe a poussé les habitants à fuir laissant tout derrière eux.
Contrairement à un Cyprien Gaillard qui use de la ruine dans une visée poétique, Marchand et Meffre adoptent une approche strictement documentaire. Ce qui n'exclut pas l'émotion. The Ruins of Detroit est construit en une succession de chapitre. Chacun est consacré à un lieu ou à un quartier. Un court texte de présentation explique les causes et les raisons de l'abandon des lieux. On peut ensuite se laisser aller à la sidération que provoquent les photos de Meffre et Marchand. Et méditer l'exemple de cette brillante civilisation urbaine qui se développa en quarante ans à peine avant de disparaître en un temps tout aussi court.
Yves Marchand, Romain Meffre, The Ruins of Detroit (édition française, Detroit, vestige du rêve américain) Steidl, relié, 230 pages.
Allez voir ailleurs !
D’autres images sur le site d’Yves Marchand et Romain Meffre. Et sur celui de Steidl.
Portfolio sur le site de Time.
Une interview de Marchand et Meffre par La Lettre de la photographie.
Et une reprise de l’article consacré au livre par Michel Guerrin dans Le Monde.